Douce France.

Ce matin je suis passé près du  “Pont Vieux”  d’Audressein, c’est un pont très ancien, aujourd’hui  désaffecté et fermé à la circulation. Il se trouve qu’il y a une certaine complicité entre ce pont et d’anciens souvenirs que j’ai vécu à cet endroit. J’ai eu une perception étrange qui m’a fait penser à ce fameux poème de Lamartine et qui m’a donné l’idée de cet article.

Lamartine grandit, à Milly en Saône-et-Loire, Il exprime son attachement à cette terre dans plusieurs poèmes, dont celui-ci : « Milly ou la Terre natale » qui s’achève par cette phrase célèbre hautement inspirée :
“Objets inanimés , avez-vous donc une âme
qui s’attache à notre âme et la force d’aimer ?”

Lamartine a la sensibilité d’un artiste, d’un poète. C’est une sensibilité hors du commun qui bouscule de façon instantanée et irréfléchie tous les a priori et idées préconçues, et qui provoque ce sentiment étrange pour le commun des mortels. 

Cependant, au-delà du côté esthétique de sa formulation, il y a surtout une proposition métaphysique de haut vol. On ne peut pas y répondre de façon lapidaire, et on ne peut pas, non plus, l’ignorer.

Il s’agit là d’ envisager une hypothèse à laquelle on n’aurait sans doute pas pensé. Cependant il est bon de lui accorder le degré d’importance qu’elle mérite, car, selon le positionnement personnel qu’on choisira d’adopter, cela risque de changer beaucoup de choses dans notre façon d’exister. 

Le poème commence ainsi :
Pourquoi le prononcer ce nom de la patrie ?
Dans son brillant exil mon coeur en a frémi ;
Il résonne de loin dans mon âme attendrie,
Comme les pas connus ou la voix d’un ami.

Déjà, dès le départ, il est plongé dans une intimité attendrie avec sa patrie,
là où il a vu le jour, et il est enveloppé dans une ambiance aimée et familière comme des “pas connus” ou la “voix d’un ami”. La suite de ce poème montre que l’auteur qui retrouve ces lieux qui ont partagé une partie de sa vie, met du “vivant” dans ses évocations : 

 “ …Saules dont l’émondeur effeuillait la couronne… Fontaine où les pasteurs accroupis tour à tour… Toit que le pèlerin aimait à voir fumer…”.
(Je n’ai pas reproduit le poème en entier, c’est inutile et il est sur internet).

Ce ne sont pas des objets sans vie qu’il décrit. L’émondeur, les pasteurs ou le pèlerin rendent les lieux vivants. Déjà à ce stade, on sent venir la question qu’il va être amené à se poser. Par nature, on sait que si l’âme transmet (ou crée) la vie, on sait, par conséquent, que s’il y a vie, c’est qu’il y a forcément âme. 

Comme l’évocation porte sur des lieux, des maisons, de la verdure, des coteaux, des sentiers, bref sur des choses matérielles considérées a priori comme des objets neutres, sans âme, ou en d’autres termes : “inanimés”, la question se pose immédiatement :

“Objets inanimés , avez-vous donc une âme ?”

En métaphysique, la première vertu est l’humilité, l’absolu nous file entre les doigts…
Des idées diverses foisonnent chez les philosophes, en voici deux à titre d’exemple,

Pour Aristote, l’âme est principe de vie
Pour Plotin : “ l’âme humaine est consubstantielle du divin ou à l’intellect dont elle provient, elle conserve un lien direct et ininterrompu avec les réalités transcendantes”.

Il y a ceux qui pensent que la matière est inerte, il n’y a rien de vivant en elle, c’est une simple matière première (materia prima). Elle se résume à un simple état de matériaux capable de servir à des constructions elles-mêmes inertes (des objets inanimés)  ou bien de servir une corporalité vivante (des corps vivants animés). Ceux-là et à propos d’émotions associées à des lieux  se contenteront de parler de réflexes conditionnés ou d’ancrages. 

Et puis, il y a ceux qui pensent que la matière, elle-même, même si elle se situe au degré le plus inférieur de l’âme qui lui permet d’exister, dispose, par voie de conséquence, d’un possible contact avec une autre âme. 

C’est là que Lamartine ouvre en grand ce premier bouleversement de notre façon de penser :

qui s’attache à notre âme “

S’il y a âme au niveau de la matière, il y a alors possibilité d’attachement d’âme à âme. Oui, mais cela veut dire que c’est dans les deux sens. Qu’on puisse aimer des lieux, des objets et s’y attacher, etc., bon ! cela on le savait déjà. Mais, il est facile de perdre de vue qu’il ne peut y avoir d’attachement que s’il y a synchronicité d’âme à âme, on ne peut pas s’attacher à quelque chose d’inexistant, de vide ou de mort. 

Et Lamartine va plus loin avec ce second bouleversement de notre façon de penser

 “…et la force d’aimer”


Alors là ! C’est la totale !

Que des lieux ou objets aimés puissent nous aimer de leur côté ? Par exemple, cette vieille grange où j’ai vécu mille choses heureuses depuis que je suis né ; que cette grange soit heureuse quand elle me voit (ou qu’elle me sent) arriver ! Ça surprend sur le coup, mais voilà que peu à peu il monte comme un sentiment d’évidence. J’ai l’impression de communiquer avec elle, il y a entre elle et moi comme un lien affectueux. Je la perçois bien vivante et aimante. Elle est faite de pierres et d’ardoises, et chacune d’elles  me connaît et me parle. 
Que dirais-je aussi de ces rues de Toulouse où j’ai passé mon enfance et ma jeunesse, de ces lieux tant aimés, comme la place du Capitole ou la place Saint-Sernin, ainsi que ces avenues, ces cours d’école, ces jardins et tous ces gens que j’ai connus et pour beaucoup aimés, et puis tous ces autres, typiquement toulousains, qui ajoutent “con” à la fin de chaque phrase… Est-ce que cette ville, et plus précisément dans ces lieux que mon histoire a choisi de privilégier ( le jardin des plantes, par exemple) ; est ce que tout cela aurait plaisir à me rencontrer ? Juste parce que c’est moi et que nous sommes attachés d’une certaine façon… 

Mystère, mais j’ai envie de le croire. Il m’est difficile d’avaler l’idée d’une séparation radicale avec les objets qui ont participé quand il y a amour. 

“Objets inanimés , avez-vous donc une âme

qui s’attache à notre âme et la force d’aimer ?”

Ce 14 Juillet, en regardant le défilé militaire à la télé, j’ai eu la très agréable surprise d’entendre chanter par des choristes de l’armée française cette chanson de Charles Trenet : “ Douce France, cher pays de mon enfance”. Ouf ! enfin un peu d’air pur au milieu du temps orageux ambiant.

Bien sûr, je ne suis pas dupe. je suis certain qu’il n’a pas dû manquer de dégourdis pour trouver que ce genre de musique était inopportun. Je laisse ces bêtes à cornes à leurs polémiques et à leurs coups de boutoir. J’ai mieux à faire et à penser. En tout cas, je salue, pour ma part, cette bonne idée.

Cette chanson qui s’est construite dans la tête de cet autre poète que fut Charles Trenet, fait écho avec ce que nous venons de voir avec Lamartine. Ce “cher pays de notre enfance” ce n’est pas juste un dessin sur une carte ou un terrain mort (inanimé) qui n’a d’intérêt que de façon strictement utilitaire, comme n’importe quel objet. On s’en sert pour ce qui nous arrange et on jette le reste. Bon ! Chacun son truc !

Ce serait trop facile d’en rajouter, donc je me contenterai de hausser discrètement les épaules en soupirant un peu pour cette “ France caricaturée et salopée” qui n’a rien à craindre au milieu de ces aboiements puérils et sans intérêt ; la caravane passe ! La France restera pour beaucoup cette douce France, ce cher pays de notre enfance. 

J’ajoute que le fait que cette douce relation de type maternel qui peut exister entre la patrie et ses enfants, soit chanté par le milieu militaire de la France, est un choix particulièrement intelligent. En effet ce sont les forces armées et les forces de l’ordre qui ont pour mission de protéger, au péril de leur propre vie, cette fameuse « douce France tant aimée », les uns contre les prédateurs venus de l’extérieur, les autres, à l’intérieur, quand le ver est dans le fruit (je veux parler des forces du désordre ou de la mauvaise foi, quand ce n’est pas encore pire…).

Quoi de plus légitime que ce soit justement celles et ceux qui se sont engagés pour la France, dans la très respectable mission de la proteger, elle et tous ses enfants, oui ! quoi de plus légitime qu’ils soient les premiers porteurs de ce lien filial.

Comme je m’en suis déjà expliqué dans d’autres articles, je rappelle que, par le biais de la loi de l’analogie universelle, le Bien produit du Bien, le Mal produit du Mal. On ne peut récolter que ce qu’on sème ! Je suis obligé de rappeler de temps en temps cette évidence parce que,  manifestement, ce n’est pas clair pour tout le monde. Qui plus est, il faudrait même aller jusqu’à la racine du Bien et de son absence le Mal. 

On verra ça une autre fois !

Revenons à ces vers de Lamartine qui nous ont entraîné à cette idée :” …et si les objets n’étaient pas si inanimés qu’ils en ont l’air, et quand bien même leur utilisation de l’âme serait élémentaire, est-ce qu’il pourrait se produire parfois, entre eux et nous, des liens charnels doux et chaleureux ?

En tous cas, les lieux qui nous ont vu naître ou qui nous ont accueilli, ces endroits auxquels on s’est associé pour le meilleur ou même pour le pire, tout ce qui constitue notre petit monde intime et personnel ; oui, tout cela est sans doute vivant, porteur d’une âme capable de s’attacher à notre âme, et même de nous reconnaître et de nous aimer.

Par voie de conséquence, si on admet cette dernière hypothèse suggérée par Lamartine, ce doit être un très mauvais positionnement que de dénigrer, critiquer ou rejeter ses propres racines. Aimer son village, son quartier, sa ville, sa région, son pays, c’est aussi aimer ce qui est proche, et puis, de proche en proche, c’est aimer tout simplement, c’est ouvrir son âme, c’est aimer le monde, c’est aimer l’existence, c’est aimer la vie et surtout la VIE. 

J’ajoute en passant, pour celles et ceux qui regardent ailleurs, qu’en raison de la loi de l’analogie universelle, les choses fonctionnent exactement de la même façon en sens inverse. Il suffit de remplacer le verbe “aimer” par le verbe “détester” et le verbe “ouvrir” par le verbe “fermer”. Avis aux amateurs ! 

Et puis, et puis, et puis…

Et si certains objets nous aimaient à notre insu…

Et si on le leur rendait…

Et si on se construisait un environnement fait d’objets aimés…

Et si…

Et si…

Holà, holà, holà… halte au feu !

Je vais plutôt aller faire un tour au jardin 

A bientôt