Jean Yves Leloup

Conférence du 15 Octobre 2012

« Qui suis-je ? De la connaissance du moi à la Connaissance du Soi »

Par Jean Yves Leloup

La question est posée par Ramana Maharshi, l’un des plus grands sages indiens du XXème siècle

Elle est reprise par Graf Durkheim qui la pose ainsi : Lorsque l’on démarre sa voiture, qui tourne la clef dans la contact ?

La question est : qui souffre, qui aime, qui se pose des des quesions, qui est celui qui vit en moi ?

D’où vient notre souffle et où retourne-t-il ?

D’où viennent nos pensées et où retournent-elles ?

Sommes-nous ce que nous pensons et éprouvons ou sommes-nous aussi autre chose ?

Il y a plusieurs façons de se poser cette question, plusieurs temps de questionnements :

un temps psychologique (travail sur l’inconscient)

Un temps philosophique : interrogation et questionnement cérébral

Un temps de célébration, louange, remerciement : c’est le temps de la philocalie

« Qui suis-je ? » dans le temps objectif ?

Pour le découvrir, on se plonge dans la coupe à la recherche de notre Graal, notre trésor, l’Etre qui est dans/au fond de notre être, le silence d’où naissent toutes choses, la source de notre vie.

  1. Je suis le moi conscient, le « Je pense donc je suis » de Descartes

Il serait plus juste de dire « ça pense » (§Jung), car le moi conscient est habité par un moi inconscient qui détermine mes pensées

Il y a plusieurs niveaux d’inconscient :

  • L’inconscient personnel : ce que nous avons hérité de nos parents, nos codes génétiques

  • L’inconscient trangénérationnel : ce qui se répète sur plusieurs générations, les mémoires qui remontent de nos ancêtres. Se connaître soi-même c’est également connaître ses ancêtres, les secrets de famille.

Quand je descends en moi, je ne rencontre pas la Claire Lumière, la Pure Conscience, le Réel absolu, l’Etre d’Amour Infini, mais je découvre des paquets de mémoire

  • L’inconscient collectif : c’est le niveau archétypal, celui qui imprègne notre société et notre culture.

L’archétype est le plan sur lequel on a été construit. Le plan demeure même si la maison est détruite et il permet d’en reconstruire d’autres avec la même structure

  • Je suis aussi le Cosmos, je fais partie de l’univers, j’y suis relié

Je suis une poussière d’étoile et lorsque l’on dit que « si je dérange un brin d’herbe sur cette terre, il y a une étoile qui pleure dans le ciel », ce n’est pas de la poésie, ni de la philosophie, c’est de la physique : nous sommes soumis à la loi de l’interdépendance, de la co-appartenance. L’univers entier fonctionne ainsi.

Nous pouvons explorer cette conscience cosmique, que certains appelleront « Réalisation ». Les grands mystiques de toutes les traditions expérimentent ce niveau de conscience

  • Au niveau le plus profond se situe l’inconscient angélique, qui est la Présence de Celui qui Est, du Réel Absolu, du « Je Suis » en nous.

De même que le gland contient le chêne tout entier, nous contenons le grand « Je Suis » dans notre petit « je suis ». Notre vie terrestre est l’occasion qui nous est donnée d’aller à sa rencontre.

Au lieu de chercher les causes de ce qui nous arrive, de ce que l’on vit uniquement dans notre passé, notre enfance, etc…on peut également les chercher dans le futur : si j’ai telle expérience, si je traverse telle souffrance, c’est pour devenir « qui je suis » .

Nous sommes poussière et Lumière. Dans notre poussière nous portons l’Information pour devenir la Lumière (c’est l’inconscient angélique). « Le royaume de Dieu est en nous ». Dieu vient du mot « dies » : le jour, la lumière.

Comment intégrer dans notre être fini l’Infini qui nous fait vivre, comment passer de l’Enfer(mement) à l’Ouvert ?

Le Christ est l’archétype de la Synthèse entre le fini et l’infini, le matériel et le spirituel, la vie et la mort, l’humain et le divin…

Certains grands sages touchent à ce grand « Je Suis », à ce qui précède et succède à leur petit « je suis », ils lâchent toutes leurs identités apprises ou imposées et laissent Etre leur « Je Suis ».

Exemples du Buisson Ardent : la révélation à Moise, et de la couronne d’épines qui symbolise le Je Suis qui aime.

L’au-delà est au-dedans de nous : c’est la transcendance immanente.

Lorsque le Christ dit « Le Père et moi ne sommes qu’un » Il nous dit que la vie et la Source de vie ne sont qu’une seule et même chose : je ne suis pas séparé de la source de ma conscience, de ma vie, de mon amour, de l’Etre qui me fait être. « Je suis » est plus moi que moi-même et Tout Autre que moi-même

Rilke disait : « Dieu est direction » et nombre des noms donnés à Dieu dans la Bible contiennent la syllabe EL qui signifie « direction » en hébreu.

A la question » Où croyez-vous que vous irez après votre mort ? », Ramana Maharshi répondait : « Je vais là où je suis depuis toujours ».

Le Christ nous a dit : « Là où je vais, je veux que vous soyez aussi ».

Jésus est le Fils unique de Dieu, ce qui veut dire que nous avons tous une façon unique, unifiée, d’entrer en relation avec le Père, avec notre source, avec cet « obscur et lumineux silence ».

« Je suis » est le fond sans fond de nous-mêmes.

Lecture du texte de Shankara, un grand maître hindou de l’Advaita : 

« Je ne suis ni…, ni.., ni… (tout ce que l’on voit de soi et croyons être, notre petit moi). Je suis Conscience Pure, Amour Infini, Je suis « Je suis ».

Nous ne sommes pas seulement les enfants de nos parents car nos parents ne sont pas Source de la Vie, ils sont seulement transmetteurs de vie.

N’opposons pas le milieu psychologique et le milieu spirituel. La voie de la science, de la philosophie et de la psychologie ne s’oppose pas à celle de la mystique et du spirituel : je suis Ceci et je suis Cela mais je ne suis pas que Ceci ou que Cela.

Remercier mes mémoires, mes ancêtres, la Terre qui me nourrit, me réconcilier avec mon petit « moi » pour pouvoir aller au-delà à la rencontre de « Je Suis » en moi.

Je me pardonne et je pardonne aux autres car sans pardon , pas de don, le pardon est au-delà du don

Tout ce qui n’est pas accepté ne peut être dépassé

Tout ce qui n’est pas pardonné ne peut être transformé.

L’Evangile de Jean est comme un mandala (la figure qui représente, symbolise le monde intérieur et extérieur, fini et infini dans les sagesses orientales)

« Avant qu’Abraham fut, Je suis » est l’attestation dans un corps humain de la présence de l’Infini

« Je suis le Chemin, la Vérité, la Vie » : « Je suis » est la vigilance, la conscience, la Résurrection, la vie éternelle, le Réel absolu, l’Amour infini…

Trouver la vie éternelle au cœur de cette vie mortelle, trouver la porte vers la Lumière, ce que Saint Jean va appeler le « Royaume », le rayonnement de la lumière.

Ouvrir ses limites à cette Présence, ouvrir son corps noué par nos mémoires

Tenir ensemble « l’enracinement (dans cette vie) et l’ouverture (à la vie éternelle) » (C’est le titre d’un ouvrage de Jean Yves Leloup)

La différence qui existe avec l’Autre ne nous sépare pas, elle nous oblige à descendre à un niveau plus profond pour trouver l’Unité.

« Mourir c’est passer sur une autre fréquence » dit Elizabeth Kubler Ross, (médecin américain à l’origine des soins palliatifs, on peut relire tout son parcours dans « La Source Noire » de Patrice Van Eersel)