Certaines études montrent que 88% des gens sont affligés de dépendance affective. De façon plus ou moins sévère, ce déséquilibre est tellement répandu qu’on n’y fait pas attention. Les comportements conséquents, devenus ordinaires, semblent normaux.
Cette dépendance s’applique aussi bien dans la relation parent/enfant qu’entre conjoints ou amis. Dans un sens ou dans l’autre, ou dans les deux, ce fléau entre dans toutes sortes de relations. Bien connu des psychologues, il n’est cependant que peu dénoncé. En effet, ils en sont souvent affectés eux-mêmes, et surtout, comme l’amour est la justification immédiate, il leur est difficile de se mobiliser sur un thème où la plupart des gens ne savent pas distinguer amour et affect.
Il en est de ce sujet comme de bien d’autres de même nature. L’origine se trouve dans un des vides de l’ego. Comme on le sait, les peurs de l’enfance génèrent des désirs qui cherchent à combler de quoi supprimer les peurs. Ils sont construits sous forme de vides et de manques ; ils sont, par définition impossibles à combler car ils perdraient leur nature de vide. Ce ne peut être que par des intermittences illusoires qu’ils se calment parfois. La solution réelle n’est pas combler le vide, mais de le supprimer ; la démarche n’est pas du tout la même. C’est comme un trou qui provoque une fuite d’eau ; ce n’est pas en ajoutant de l’eau qu’on s’en sort, mais en supprimant le trou.
Sans entrer dans les multiples raisons qui provoquent chez telle ou telle personne ce déséquilibre interne, mieux vaut le regarder en face pour éventuellement s’en débarrasser. Il est vrai que la plupart ne le feront pas, car on a du mal à distinguer affect et amour et donc à mettre en cause ce qui semble être de l’amour.
Le processus est pourtant simple. Cependant, il n’apparait pas en clair car il est inconscient. Il est sous la forme : « Je m’affiche dans des comportements qui obligent la personne qui est censée m’aimer à s’investir pour moi ».
On pourrait citer de nombreux exemples :
Par exemple : un enfant va se montrer turbulent en public car il est frustré de voir sa mère s’occuper de quelqu’un d’autre ou d’autre chose. A force de l’empoisonner de cette façon, elle finira par le prendre dans ses bras pour l’empêcher de continuer.
Autre exemple : un adulte devient malade, ou fait une connerie, ou se met en situation d’incapacité ou d’échec pour obliger un conjoint à se positionner en sauveur.
Il y a là deux conséquences perverses :
La première, c’est que, comme la façon de s’y prendre entraîne un désagrément pour l’autre, ce dernier s’épuise dans un perpétuel rattrapage. Il finit par considérer qu’il vaut mieux continuer à répondre aux caprices que d’être empoisonné ou de subir le remord de l’inaction .
La deuxième, c’est que la personne dépendante ne pouvant pas être soulagée de cette façon, se désespère. Elle finit par en vouloir à la personne censée pouvoir le faire et son pseudo-amour tourne en colère ou en déprime. Par ce moyen, d’ailleurs, elle espère en dernière instance récupérer les attentions de l’autre.
Exemple de dépendance affective parents enfants
1/ Je me mets en échec (ou en maladie ) pour maintenir la relation, en obligeant le parent (lui-même lié par l’affect) de se positionner en sauveur.
2/ Comme ma situation (échec ou maladie) est pénible à vivre, j’en veux à cet affect qui est responsable de mon état. Comme c’est inconscient, je rend responsable, non pas mon déséquilibre psychologique, mais le parent lui-même. Au lieu de réaliser que c’est la nature excessive et dépendante de mon affect qui est coupable, je transfère la culpabilité au parent.
3/ Comment guérir de la dépendance affective ?
A/ Manière forte : rompre toute possibilité de communication (la mort du parent est évidemment le plus effectif). Cependant le résultat est incertain, ce peut être bien, mais ce peut être pire. De plus il peut y avoir aussi transposition sur quelqu’un d’autre.
B/ Manière soft : comprendre le phénomène, comprendre que c’est une pathologie destructrice courante et la traiter ; peut-être à l’aide de spécialistes, comme une simple maladie, ou par du développement personnel, dans un processus d’évolution (« Connais-toi toi-même et … »).
Cet exemple est, bien entendu, réversible. Ce peut être le parent âgé qui est affligé de dépendance affective. Il se met en situation de demande pour obliger ses enfants à se positionner en sauveurs. Il les mine et les ronge jusqu’à l’os par la maladie ou l’incapacité. Comme « l’amour » est le prétexte, personne ne voit le processus pervers. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de l’amour ; il peut y en avoir aussi, c’est seulement de ce surplus d’affect parasite dont il est question ici.
On peut voir également que ce fléau entraine des phénomènes de même nature dans d’autres relations que celle de parent/enfant. Dans le couple, par exemple. Déprimes, colères, reproches, réclamations diverses exprimées ou non, sont monnaie courante. Dans la plupart des cas il y a dépendance affective ; souvent même chez les deux. « Je t’aime et je te hais », sont les deux faces d’une même pièce ; sans dépendance elle resterait posée à l’endroit.
C’est ainsi que l’amour, le vrai, qui est à la racine de ces incidents, se voit singé par de vulgaires neuro-associations. Comme on le sait en psychologie, une neuro-association ne pèse pas lourd ; nous en faisons et défaisons à longueur de journée. Ce qui leur donne une illusion de solidité, c’est une habitude de longue durée. Or une habitude peut changer ; nous en changeons d’ailleurs souvent ; il n’y a pas de fatalité dans celles qui nous encombrent l’existence et qui nous empêchent de vivre dans l’amour.
En conclusion, la dépendance affective est, sans doute, un des sujets les plus sérieux dont on devrait s’occuper. En effet, si on considère que l’amour est la seule voie qui peut nous amener à rencontrer notre dimension spirituelle, encore faut-il déblayer le chemin. Comme nous sommes tous plus ou moins encombrés par ces casseroles, on ferait bien de s’y mettre sans tarder.
Au commencement, les hommes vivaient dans l’insouciance du lendemain. Pas de peurs, pas d’ego, pas de vides. La nature leur fournissait tout ce dont ils avaient besoin ; sans chercher, sans courir. Peut-être des primitifs, mais ils étaient sans doute plus heureux que de nos jours, car ils étaient sans demandes et recevaient les choses sous forme de cadeaux. Ce n’est que plus tard avec la pénurie…
Nous avons vécu individuellement cet état primordial (l’éden) les premiers mois de notre vie ; ce n’est que plus tard que nous avons rencontré une illusion de pénurie…
On doit pouvoir retrouver ce point de départ pour prendre cette fois la bonne route. Primordial et primitif ne veut pas dire la même chose ; l’enjeu ne consiste pas à retourner à un statut moins évolué, mais plutôt à s’adapter à la vie moderne à partir des racines primordiales. C’est sans doute l’enjeu du monde futur ; mais on n’est pas obligé d’attendre. On peut individuellement s’inscrire dans cette trajectoire.
Henry Arnaudy 2003
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