LA VOIE DU MILIEU

Les deux Abîmes et la voie du Milieu

Avant d’aborder certains articles que j’ai en préparation, je me vois dans l’obligation de commencer par montrer du doigt ce qui devrait présider tacitement en préambule à toute réflexion sur des sujets qui impliquent un positionnement sur les différents plans de l’existence. En effet, comme c’est le plus souvent le cas dans les “discussions de comptoir”, ou même en interne entre soi et soi, on rencontre des positionnements apriori et radicaux (souvent inconscients), qui enferment l’intelligence dans des sphères partielles et partiales. On peut comprendre que dans ces conditions, le pré-cadrage, installé en amont de tous les sujets de réflexion, exerce une dictature inflexible qui fausse le jugement.

La voie du Milieu
Les Orientaux racontent comment Bouddha est arrivé à cette hyper lucidité qui a généré par la suite ce qu’on a appelé la voie du Milieu. En se servant d’une métaphore, c’est souvent beaucoup plus facile pour se faire comprendre. En l’occurrence, il a pris pour élément de comparaison une cloche avec une corde reliée à son battant. Par simple logique il fait remarquer ceci : «Si on ne tire pas assez fort sur la corde, la cloche ne sonne pas ; si on tire trop fort sur la corde, la corde casse ». On comprend dès lors très facilement, qu’une attitude excessive d’un côté ou de l’autre est une faute.

À partir de ce premier constat, on peut comprendre que s’il s’agit de comportements occasionnels, ce n’est sans doute pas trop grave ; être un peu excessif de temps en temps, n’empêche pas d’être un peu plus intelligent le reste du temps. Par contre, rester calé et installé sur un positionnement immuable maintenu par des a-priori fondés sur de faux ou de mauvais principes, verrouille la pensée et l’enferme dans un espace restreint où elle se cogne par idées-fixes aux murailles extrémistes ou fanatiques des fausses et contre-cultures.

Ce qui vient d’être dit nous emmène maintenant à la réflexion suivante : Suivre la voie du milieu consiste évidemment à adopter une attitude intermédiaire. Cependant, il ne s’agit pas d’une voie différente ou extérieure qui n’aurait aucun rapport avec celles dont on vient de parler. Bien au contraire, la voie du milieu puise des deux côtés avec discernement et trouve les complémentarités utiles, dans les justes proportions qui sont à la fois nécessaires et suffisantes. Pour que la cloche sonne il faut bien tirer sur la corde assez fort, quand même, mais il faut aussi y aller doucement pour ne pas la casser. C’est dans “un peu des deux” que se situe la voie du milieu. Un peu, c’est suffisamment , mais c’est aussi juste ce qu’il faut.

Les deux abîmes
Après avoir dégrossi quelque peu notre sujet, j’aborde maintenant ce que j’ai désigné comme deux abîmes qui menacent de part et d’autre une saine gestion des idées et de la pensée. Par métaphore, cela se présente comme si la voie du milieu se déployait le long de la cime d’une montagne et que cette fine arête ensoleillée était bordée des deux côtés par de sombres précipices, terribles et vertigineux.

Le premier abîme : l’esprit d’analyse.
Il n’est évidemment pas question de dénigrer ici l’analyse. Bien au contraire, nous sommes avec l’analyse, en présence d’une qualité spécifiquement humaine dérivée de l’intelligence dans toute sa splendeur. Je ne vais pas développer plus avant cet aspect des choses qui repose sur la logique et la raison, et qui devrait être évident pour tout le monde.
Par contre, j’ai parlé de l’esprit d’analyse, mais je dois préciser ce que je mets ici (et provisoirement) dans cette expression à propos de notre sujet. Je veux parler de l’exagération et de la course sans fin vers de la recherche, du savoir, du savoir, du savoir…
Tout se passe comme si le bonheur ne pouvait se découvrir que bien caché derrière des montagnes de questions que seule l’analyse pouvait élucider. Les “pourquoi ceci ?” rebondissent sur des “mais alors pourquoi ça ?” et d’analyse en analyse, on s’enfonce dans des marécages jusqu’à même avoir oublié pourquoi on y est rentré. Si je parle d’abîme c’est que cette tendance propulse la conscience dans l’infini, dans le non-aboutissement, autant dire en un mot dans les voies de la désespérance. Pour l’infiniment grand ou l’infiniment petit, il y aura toujours encore plus grand ou encore plus petit.

Deuxième abîme : La crédulité
Nous voici maintenant en présence du positionnement rigoureusement à l’inverse du précédent. Il ne repose ni sur la logique ni sur la raison, mais uniquement sur des sensations ou sentiments qui guident la conscience sur des choses qu’on a envie de croire. Cela peut être conséquences d’influences diverses (coutumes, superstitions, idolâtrie, milieu social ou politique etc.). Évidemment, cette crédibilité (ou naïveté) est aveugle ; c’est pourquoi, elle prête un flanc docile à l’inculture, à la fausse et la contre-culture.
Là aussi il n’est pas utile d’en rajouter ; tout le monde a compris que vivre sous la coupe d’influences extérieures auxquelles on s’associe spontanément sans réfléchir, fait courir le danger de perdre par la même occasion ce qui fait l’essentiel de notre originalité. Nous l’avons déjà exprimé par ailleurs : « L’univers n’a que faire des photocopies, il lui faut l’original ! ». C’est ainsi que la crédulité dont nous parlons ici nous coupe de notre intelligence naturelle qui s’endort dans une forme de mort de l’esprit ; l’inintelligence a pris la gouvernance de la pensée.

Pourtant, et pourtant, et pourtant…
Attention ! C’est maintenant que les attitudes intelligentes vont pouvoir être exprimées avec la libération des prisons construites dans les abîmes dont nous venons de parler.
J’ai tenté de l’exprimer plus haut : L’analyse et la crédulité ne deviennent des abîmes où se noie l’intelligence, que dans le systématisme et l’exagération. Leurs principes et contenus respectifs sont, bien au contraire, des creusets de tout premier plan propres à développer l’authentique intelligence de la voie du Milieu.

Comme nous sommes tous (au moins potentiellement) porteurs de cette authentique intelligence, nous sommes aussi porteurs des possibilités de la réveiller. L’objectif de cet article vise tout simplement à mettre la puce à l’oreille. A chacun de voir…

Les bienfaits de l’analyse
L’analyse est ce degré de l’intelligence qui permet d’explorer le monde terrestre, le monde physique, celui de l’espace-temps, le monde des conditions matérielles et corporelles de l’existence. Elle fonctionne avec la raison ; c’est ce qui lui permet de décrypter les principes et les logiques sous-jacentes qui peuvent apporter quelques réponses aux questions concernant les phénomènes. Je dis bien quelques réponses ; je rappelle ici que les phénomènes ne possèdent pas par eux-mêmes leur raison suffisante. Cela veut dire que ce degré de l’intelligence est compétent pour explorer les aspects physiques et matériels des phénomènes et rigoureusement incompétent en ce qui concerne les aspects métaphysiques et immatériels de ces mêmes phénomènes. C’est pourquoi, même si ce degré de prise de conscience est incomplet, il n’en reste pas moins nécessaire. La raison est indispensable dans le monde sensible (le monde qui se parcourt à l’aide de nos 5 sens). Cependant, son utilisation ne doit pas faire perdre de vue qu’il y a en arrière plan des “raisons d’être” qui échappent à ses seules investigations.

Les bienfaits de la naïveté
Comme il est question maintenant de se pencher sur les bienfaits de cet autre versant de notre sujet , je préfère employer le mot de naïveté plutôt que celui de crédulité.
En avant-propos, on se souvient que toutes les traditions disent à peu près la même chose dans l’esprit de cette citation : ” Laissez les petits enfants, et ne les empêchez pas de venir à moi; car le royaume des cieux est pour ceux qui leur ressemblent. “ (Matthieu 19:14). On ne peut pas être plus clair. Si la raison appartient au monde terrestre, la naïveté appartient au monde “céleste”, on n’est plus dans le domaine de l’analyse, on est dans celui de l’intuition. Les données obtenues par cette forme d’intelligence ne sont pas identifiables de façon rationnelle. Nous sommes là dans une intelligence supra-rationnelle que les ignorants confondent avec l’irrationnel.
On notera au passage que l’irrationnel est la conséquence de la déraison et que tout cela débouche sur une crédulité qui valide un monde fantasmagorique, confus et par suite rigoureusement absurde. C’est, en d’autres termes, l’extinction des feux de l’intelligence et, par suite, le maintien d’un état de survie robotisé par les habitudes et des idées aussi folles que systématiques et pré-conçues.

Il en va tout autrement avec cette intelligence supra-rationnelle qu’est la naïveté. Il y a étymologiquement dans ce mot les notions de naturel, de véritable, de simplicité et de pureté qui désignent un état de synchronicité avec cet invisible qui est encore très proche des petits enfants, et peut-être plus tard “de ceux qui leur ressemblent”. A propos de ces derniers, d’ailleurs, ils sont perçus par les ignorants comme des imbéciles, des fous ou des handicapés. Après tout… “Les chiens aboient, la caravane passe”… Il viendra sans doute un temps où les premiers seront les derniers et inversement.

Pour achever ce parallèle entre les états de crédulité et de naïveté nous évoquerons simplement la différence entre ceux qui croient et ceux qui savent.
Les premiers s’accrochent aux branches de leurs croyances qui leur paraissent toutes justes et véritables (évidemment, puisqu’ils les croient), alors que, à coup sûr, il en est, sans doute, un bien grand nombre qui seraient bonnes à jeter aux orties… Le monde de la crédulité fondé sur les croyances maintient un état de “pause arrêt- buffet” bien calé et installé sur un monticule de certitudes qui motivent toutes sortes d’affirmations. Blablabla blablabla… J’en parle savamment parce qu’il m’arrive de me laisser entraîner dans ce genre de dérapage ; l’important, c’est au moins de s’en apercevoir…

Quant à l’état de naïveté de ceux qui savent, c’est beaucoup plus difficile d’en parler. Il s’agit d’une présence vivante et mouvante qui sait sans savoir ce qu’on sait ni comment on sait. Cela ressemble à un pilotage supra-individuel qui oriente les pensées de façon indéterminée. Au gré du vent et des circonstances, surgissent des spontanéités qui peuvent surprendre parfois en raison du caractère irréfléchi de l’intelligence supra-rationnelle.


La rédaction de cet article m’a pris un peu plus de temps que je pensais ; peut-être faudra-t-il y revenir. Cependant je pense avoir posé quelques pistes de réflexion pour aider dans leur quête, celles et ceux qui auront peut-être l’audace d’envisager de se rapprocher de la voie du Milieu.

Avec toutes mes amitiés