ARLEQUINADES

Le symbolisme d’ARLEQUIN

Arlequin (en italien : Arlecchino) est un personnage type de la commedia dell’arte qui est apparu au xvie siècle en Italie, au masque noir et dont le costume est fait de losanges multicolores. Ceux-ci représenteraient les multiples facettes d’Arlequin, ainsi que sa pauvreté.
(Source : Wikipedia)


Disons tout de suite que je ne suis pas particulièrement intéressé par ce personnage ni par toute la littérature qui lui a été consacrée. Par contre, je me sers depuis longtemps du symbolisme que peut inspirer son accoutrement. Comme il se trouve que ce thème est au cœur de ce que j’ai abordé dans d’autres articles, en particulier à propos de la culture, j’ai trouvé opportun d’en dire quelques mots aujourd’hui. Quant au choix d’utiliser le symbolisme d’Arlequin pour en parler, c’est uniquement parce qu’il convient parfaitement pour étayer mon propos.


Tout d’abord il porte un masque noir.
Un masque c’est ce qui cache notre visage, notre véritable identité, notre être authentique. Comme de plus, il est noir ; on perçoit comme une sorte de pudeur, ou peut-être même de honte, à se livrer publiquement. Qu’est-ce qu’il serait si terrible à montrer et qu’il faudrait à tout prix cacher ? Le noir c’est le vide intégral qui offre en contrepartie l’avantage de pouvoir laisser supposer n’importe quoi. Derrière un masque noir, il peut s’y trouver n’importe qui, n’importe quelle personnalité, n’importe quel personnage.


Le mot “persona” en latin (d’où vient le mot personnage en français), signifie précisément “masque”. C’est dire que le ou les masques que nous portons à longueur de journée, qui nous font afficher, selon les circonstances, telle ou telle personnalité factice, reposent essentiellement sur un talent de comédien. Cette vaste mascarade est tellement répandue qu’elle devient invisible à la plupart, et même insoupçonnée.
Mais lorsque la conscience s’approche un tant soit peu de son masque noir, alors l’être se retourne sur lui-même, puis il tente de soulever un peu le coin du masque, et enfin dans un souffle timide, il murmure cette question qu’il n’a jamais osé poser : “…et qui es-tu toi ?”


Ensuite, Arlequin est vêtu d’un habit multicolore.
On ne sait pas très bien d’où viennent cette multitude de petits morceaux de tissu dont il est constitué. On se doute quand même de la multiplicité des origines, et même des différentes façons de se les être appropriées. Quant au fait que ces petits morceaux de tissu soient en forme de losange, on ne va pas s’attarder sur ce détail et conserver uniquement l’idée que c’est sans doute pour illustrer une facilité de juxtaposition et d’assemblage.
D’une façon générale, l’habit peut être perçu, par métaphore, comme le contenant de notre identité. Il est l’expression sensible (accessible à nos sens) d’une sorte de carapace conditionnée et robotisée par un ensemble de paramètres juxtaposés. Si certains de ces paramètres sont évidemment innés et par nature (Arlequin est d’abord un être humain avant d’être un bouffon), il n’en reste pas moins qu’une grande partie de ces paramètres résulte d’acquisitions diverses et variées empruntées aux autres.
Il s’agit là, bien entendu, d’un ensemble constitué de croyances, de règles, d’a priori, de principes, de sensibilités et d’émotion diverses, de modélisations, d’identifications ou de projections; tout cela dans un creuset d’intimes convictions et de certitudes qui se confondent et se liquéfient dans un magma inconsistant, une sorte de costume qui se substitue à notre identité authentique et qui nous enferme dans un rôle, un personnage de comédie, une personnalité illusoire qu’on affiche devant son public et qu’on appelle, par erreur : “Moi”.


Quand je dis que cet ensemble d’acquisitions diverses a été emprunté aux autres, c’est, bien entendu, une façon de parler. Il y a diverses façons d’emprunter ; cela peut vouloir dire influencé ou convaincu, par un milieu, une ambiance ou des arguments, mais cela peut aussi vouloir parler d’acquisitions adoptées par un positionnement obéissant ou rebelle (c’est-à-dire un positionnement assujetti dans les deux cas), ou encore par plagiat ou idolâtrie. Bon, ici j’en passe et des meilleures parce qu’on n’en finirait plus ! Je veux juste faire remarquer que dans ces conditions, il se pourrait que notre vie finisse par se résumer à jouer un rôle dans un théâtre, un rôle qui fait partie d’une comédie dont on n’est même pas l’auteur. Il s’agit là, en somme, d’une vie par procuration, une sorte de chèque en blanc aux idées des uns et des autres, qui d’ailleurs sont sans doute dans une situation de dépendance analogue.


Holà, holà, holà … Qu’est-ce que c’est que cette crise de connerie où nous mène Arlequin ? Et la “divine providence” alors qu’est-ce qu’on a fait ? S’il y a masque et costume c’est qu’il y a un “derrière le masque” et un “à l’intérieur du costume”, et ce qui s’y trouve n’est ni masque, ni costume. Ce qui s’y trouve est obligatoirement indélébile et inaltérable ; c’est une instance fondamentale sans laquelle l’existence elle-même serait impossible.
C’est pourquoi aller au théâtre de temps en temps et jouer la comédie ne dérange pas beaucoup cette essence profonde. Cependant il lui est toujours, à la fois possible et facile, de passer d’une distraction temporaire, qui a sans doute quelque part sa raison d’être, à la véritable vie. On peut envisager son expression comme une “divine Providence” ou un “état de Grâce” ou n’importe quoi d’autre, ce n’est pas cela qui a grande importance.


Alors !
C’est ici que nous allons abandonner Arlequin au bord du chemin, ou du moins son masque et son costume. Dans un prochain article, nous allons devoir nous intéresser à ce qui pourrait bien nous aider à libérer notre être essentiel de ces ridicules oripeaux tout justes bons à balancer au péyarot. (Pour celles et ceux qui ne savent pas ce qu’est un péyarot, je les instruis : c’était un espèce de chiffonnier qui passait, il y a longtemps, dans les rues de Toulouse en se signalant par des cris qui faisaient peur aux enfants : “péyarot, péyarot…”). Dommage qu’il n’y en ait plus, le rejet de nos vieux chiffons était plus impliquant et moins anonyme…

A bientôt