Principes d’évolution

Indépendamment des multiples degrés d’évolution de l’être, il y au moins deux étapes principales à considérer. La première est de retrouver l’état humain par nature, que les traditions orientales appellent l’état primordial ; la deuxième est de s’en servir pour développer une faculté de transcendance qui permet à la conscience de dépasser l’état humain.

La première étape est de retrouver la plénitude de l’état individuel dans la sphère de conscience des effets, (le Moi contingent) ; la deuxième étape est de déployer l’aptitude à pénétrer la sphère de conscience des causes (le Soi universel).

Comme la plupart d’entre nous se situe dans la première partie du parcours, c’est sur cet aspect qu’il est bon de s’attarder. Cependant, si un point de vue théorique de l’ensemble n’est pas suffisant, il est tout de même indispensable ; seul le vécu et la pratique peuvent rendre effectif ce qui n’est qu’ébauché au niveau de la théorie. Malgré tout, la théorie est un préalable qui permet de ne pas se perdre en cours de route. En effet, on assiste depuis bien longtemps et dans la plupart des cultures à des confusions des genres, à des mélanges savants entre ces deux aspects qui troublent la conscience et empêchent bien souvent toute possibilité d’évolution.

Pourtant, ce que nous voulons exprimer ici n’est pas inconnu ou complètement perdu ; il appartient au Patrimoine de l’humanité depuis des temps immémoriaux, aux temps où les humains vivaient encore la plénitude de leur état. Cela a été transmis de générations en générations. Même si cette transmission depuis les origines, qu’on appelle Tradition primordiale, s’est répandue en des formes diverses et de plus en plus déformées, elle existe toujours cependant. Bien sûr elle est noyée au travers d’écheveaux inextricables de croyances, de coutumes, de conceptions hétérogènes philosophiques, religieuses ou scientifiques, qui masquent l’essentiel derrière une fumée opaque.

Mais pour ceux qui n’ont pas encore complètement perdu la vue, il existe toujours une lueur dans les ténèbres. Pour comble de difficulté, cette lueur n’est pas perçue par ceux-là mêmes qui prêchent haut et fort telle ou telle doctrine et qui influencent ainsi leurs oilles vers de fausses lumières. J’en tiens pour preuve que le seul fait qu’ils ne prêchent pas la même chose est un aveu tacite qu’ils ne se réfèrent pas à ce qui est commun à tous. La Vérité est Une. On peut l’atteindre ou ne pas l’atteindre individuellement, mais il n’y a pas plusieurs vérités susceptibles de s’opposer.

Cependant, tant qu’on a pas atteint la première partie du parcours, la Vérité absolue est inaccessible directement ; on ne peut qu’espérer. Or, si sur toute la planète la transmission originelle a été progressivement déformée et dévoyée, il n’en reste pas moins que dans toutes les cultures il en reste ici et là sa trace indélébile au travers de coutumes diverses et variées, même si ce ne sont plus que des écorces stériles.

Cependant, l’écorce permet à un esprit éclairé de deviner le fruit (deviner vient de divinare ; voir par intuition ce qui est divin derrière les apparences). Ce sont les perceptions de différents aspects du même fruit qui se cachent sous de multiples écorces qu’on appelle l’ésotérisme. Le préfixe grec « eso » signifie en dedans, caché. Par ailleurs, ces perceptions issues de la pratique de l’ésotérisme sont personnelles, donc uniques et de ce fait intransmissibles directement.

Il existe par définition un ésotérisme derrière toutes les cultures. Les croyances et supports extérieurs (qu’on appelle l’exotérisme), ne sont que symboles. Or ce n’est pas le symbole qui est important, c’est ce qui est symbolisé. Ne voir que le symbole et lui donner une valeur objective tourne à la superstition ou à l’idolâtrie ou encore pire, à son rejet total sous forme, par exemple, de scientisme.

Quant à ce qui est symbolisé, et s’il s’agit véritablement d’une tradition particulière rattachée à la Tradition primordiale, c’est forcément commun à toutes les traditions, quels que soient le lieu ou la culture. Ce qui est commun, ce sont des principes et indications qu’il est plus facile de transmettre par le vécu d’une mise en scène que par des discours. Même si la transmission effective est incertaine et même improbable à notre époque, il n’en reste pas moins que les traces ésotériques sont encore discernables par quelques-uns dans de nombreux cas. C’est à chacun d’étayer son parcours par des rencontres de sa conscience avec ces traces éparses qui sont des rameaux de ce qui reste de la Tradition primordiale.

Pour revenir à cette fameuse première partie du parcours, il convient de préciser ici l’enjeu. Retrouver pleinement l’état primordial est devenu mission impossible de nos jours. On peut toutefois s’en rapprocher et entrevoir sa nature de façon intuitive. On peut même se contenter d’une proximité suffisante pour envisager la transcendance de la deuxième partie du parcours et pour s’en pénétrer ; ne serait-ce que par des bribes plus ou moins virtuelles que la mort corporelle peut rendre effectives. Cette première partie du parcours vise à retrouver ce qui a été perdu, une conscience capable de percevoir l’évidence de l’état humain et de sa dimension cosmique. Cela débouche sur ce que les orientaux appellent le « sentiment d’éternité » ; autant dire sur un dépassement évident de la peur de la mort ; et même mieux encore, sur un sentiment qui ne voit pas la mort comme une perte ou une fin. On convient que c’est plus facile à dire que de s’en pénétrer effectivement.

Or, la peur de la mort corporelle génère toutes sortes de peurs qui ont toutes pour tronc commun ce qui pourrait entraîner la mort. La peur du rejet et de l’abandon est notre première peur. Elle remonte au jour de notre naissance ; elle va par la suite se conserver sous d’autres formes : peur du regard des autres, peur d’être méprisé, de ne pas plaire, peur d’être condamné etc. Ces peurs vont donner naissance à des désirs inconscients qui en sont la réponse de sauvegarde ; désir d’être aimé, considéré ou autre… C’est l’ensemble de ce mécanisme qui constitue une représentation identitaire, un « moi » illusoire de survie, auquel on donne le nom latin d’ego. C’est pourquoi, on trouve dans de nombreuses coutumes, des rites symboliques qui orientent un vécu émotionnel vers un dépassement de l’ego. C’est une invitation indirecte à bénéficier, par analogie, d’un processus interne capable de rencontrer éventuellement ce qui se cache derrière l’ego, le Moi authentique.

H.Arnaudy 2001