CREMATION

A propos de la crémation du corps lors du décès
Cet article a été rédigé par Henry Arnaudy le 1er Juin 2024 à l’attention de ses propres enfants pour préciser ses préférences en la matière. Comme il est apparu que diverses personnes se sont montrées intéressées par des réflexions sur ce sujet sensible, le texte a été porté sur son blog. Il est évident qu’il ne peut s’agir que d’une aide à la réflexion destinée à déboucher sur des préférences personnelles. Ce texte ne prétend nullement détenir une quelconque “vérité”. Chacun pourra prendre ou laisser comme bon lui semble et choisir sa position selon sa propre personnalité…

Je suis favorable à l’enterrement traditionnel et plutôt opposé à cette récente tendance actuelle à la crémation. Il y a longtemps que j’ai ce point de vue ; mais il se trouve que je suis tombé hier soir sur un reportage américain qui ajoute à ce sujet quelques données que j’ignorais et qui m’incitent à confirmer ma position. Je précise quand même et tout de suite ici que, même si je n’aime pas beaucoup cette façon de conduire des obsèques, je conserve une confiance absolue dans l’ordre naturel qui crée, répare, rattrape ou compense, en permanence et par simple logique, n’importe quel éloignement des principes fondamentaux. Je suis tout à fait convaincu qu’en fin de compte, tout cela n’a pas beaucoup d’importance et finit par revenir au même. Mais abordons maintenant ce qui motive ma position.

En ce moment, aux Etats Unis, plus de la moitié des sépultures se font par crémation. Comme les pays européens ont cette fâcheuse tendance de modéliser les américains, il me paraît utile de s’y intéresser ; en effet, même si parfois les américains peuvent être des pionniers intéressants, et même parfois géniaux, surtout dans des domaines techniques, ils peuvent aussi se servir de cette tendance à l’originalité et à vouloir toujours sortir des sentiers battus, pour se lancer tête baissée dans la contradiction systématique des conceptions millénaires de la vieille Europe. Il suffit de survoler rapidement les multiples absurdités qui se déploient actuellement sous la dénomination de « wokisme » pour s’en convaincre. Ces dangereux pseudo-éveillés autoproclamés qui vous font des leçons de morale, propagent non seulement l’inculture, mais aussi une contre-culture qui contamine beaucoup de gens, avec de quoi éteindre radicalement ce minimum d’intelligence et de bon sens qui devrait habiter tout être humain.

Pour toutes ces raisons et comme j’arrive à un âge où cette question est naturellement davantage présente à l’esprit, je poursuis ici mon propos sur cette tendance à la crémation venue des Amériques.
Selon le reportage que j’ai regardé, les raisons statistiques qui entraînent ce choix sont les suivantes :
– Raison financière : Une crémation coûte de 2000 à 3000 $ ; un enterrement traditionnel coûte de 10 000 à 12 000 $.
– Raison écologique : Il y a des pseudos-éclairés qui prétendent que la décomposition en terre des corps (humains?) pollue l’atmosphère pour les vivants.
– Raison de place : Si on occupe le terrain pour enterrer les morts, on va manquer de place pour les vivants.
– Raison idéologique : L’inculture et la contre-culture ambiantes génèrent des idées qui déforment la réalité pour introduire dans la destruction des cadavres par le feu quelque chose d’ordre supérieur. Une forme particulière de sentimentalisme y voit une envolée au travers des flammes vers des hautes sphères que chacun imagine à sa façon.

Après nous être débarrassés de toutes ces mauvaises raisons qui favorisent le processus de crémation, il nous reste à rechercher ce qui pourrait bien nous éclairer quelque peu. Pour commencer nous avons les coutumes des peuples en faveur de la crémation des corps.

On peut commencer par les funérailles des Vikings. Il s’agissait pour les guerriers d’atteindre le Valhalla : il s’agit d’une partie du royaume d’Odin, le père des Dieux, comprenant 540 portes. D’abord, il faut noter que la crémation était le premier choix des Vikings lors des funérailles. Dans le cas d’une crémation du maître, les serviteurs étaient brûlés vifs. (source Odella.fr). Je ne vois strictement rien de transcendant dans ce genre de comportement méprisable proche de la barbarie (n’en déplaise aux admirateurs égarés qui trouvent ça très bien).

Et autrefois en Inde : La tradition indienne exaltait les satîs : elles se brûlaient vives sur le bûcher funéraire de leur mari. Par quelles voies l’amour conjugal croise-t-il ainsi sa destinée avec la mort volontaire – et faut-il parler ici d’un sacrifice, d’un suicide ou d’un meurtre ? (source seuil.com). Je laisse à d’autres le soin d’y voir de la poésie ; pour moi, la crémation est ici encore associée à une abomination.

Chez les hindouistes, elle est encore largement pratiquée. Les fidèles voient dans la fumée qui s’élève des bûchers funéraires un lien entre le défunt et le monde spirituel. C’est aussi une forme d’obsèques très pratiquée chez les bouddhistes. L’esprit est ainsi libéré de son enveloppe charnelle et peut atteindre le Nirvana. Les écrits veulent que Bouddha lui-même ait été incinéré. (source TF1.Info) Cette fois-ci c’est plus acceptable, cependant je ne suis absolument pas convaincu de la validité de cette pratique ; si la fumée peut servir de symbole pour une éventuelle élévation de l’esprit, la destruction par le feu peut aussi être un symbole qui peut représenter exactement le contraire (débarras, punition etc.). Qui plus est, l’aspect qui peut, à la rigueur, être validé concerne les spectateurs ; je ne vois pas clairement en quoi la personne incinérée puisse en tirer le moindre profit dans le monde immatériel, mais qui sait ? Rien n’est simple dans cette relation entre le visible et l’invisible.

Pendant des siècles, le catholicisme a été une religion d’État en France et est resté largement majoritaire par la suite. Or, la crémation a longtemps été interdite par le Vatican. Il considérait que le corps devait retourner à la terre. Se faire incinérer a même été un temps une façon d’afficher jusqu’au bout son anticléricalisme. Mais en 1963, l’Église catholique a revu sa position. En revanche, elle est encore interdite chez les orthodoxes.
Dans les deux grandes autres religions monothéistes que sont l’islam et le judaïsme, la crémation est en principe formellement interdite. Comme dans la tradition chrétienne, chez les Juifs, le corps doit être préservé en vue de la résurrection des morts. De son côté, le Coran affirme que Dieu lui-même intima à Caïn, fils d’Adam et Eve, d’enterrer son frère Abel, premier humain à mourir. Il s’agit donc d’un commandement auquel il n’est pas possible de se soustraire. (source TF1INFO)

Au cours du reportage que j’ai vu hier soir, l’accent était mis sur les raisons du rejet de la crémation dans les grandes traditions. Étaient cités des passages de textes sacrés tels que la Bible, le Talmud ou le Coran ; les idées étaient à peu près les mêmes, mais ce qui m’a radicalement conquis c’est la confirmation dans les écritures de ce point de vue qui m’habite depuis bien longtemps et qui peut se résumer ainsi : “Le corps est le temple de l’esprit”, ou même “de l’Esprit Saint”. Sans entrer dans de plus amples développements que mériterait ce sujet, on peut tout de même en retirer quelques réflexions.

Tout d’abord, le corps est considéré ici comme un accessoire provisoire pendant la traversée de l’existence terrestre. Ce n’est pas le cerveau qui sécrète de l’esprit comme le foie de la bile (on laisse ce point de vue aux scientistes distingués), c’est plutôt l’inverse. C’est l’Esprit qui est le créateur, et en particulier le créateur de son accessoire corporel qui nous est ainsi donné. C’est la raison pour laquelle toutes les grandes Traditions envisagent les choses à partir de là.
Epictète, par exemple, exprime les choses ainsi : L’esprit est UN (ou l’Ame du monde est UNE) ; Il (ou elle) est comme la lumière qui est UNE mais qui peut être divisée ou séparée occasionnellement (par un mur, par exemple, ou un rocher ou une montagne…). Cette analogie métaphorique permet de réaliser que notre âme apparemment individuelle est en fait un aspect qualitatif provisoirement distingué de l’Unité originelle (éternelle). On peut ajouter que par suite, et afin d’explorer un monde matériel le temps d’une existence, elle se construit une sorte de coquille corporelle capable de traverser confortablement les circonstances liées à l’espace/temps. Ce corps construit à l’aide de matériaux terrestres est censé se déconstruire de la même façon à la fin du voyage.

Nous pouvons maintenant reprendre notre réflexion à propos de notre positionnement vis-à-vis de cette tendance actuelle qui consiste à favoriser de plus en plus la pratique de l’incinération. Comme je l’ai précisé dès le début, je n’accorde pas à ce sujet plus d’importance qu’il ne mérite. Tous les choix des familles concernant les obsèques de leurs chers disparus ne sont qu’affaire de points de vue ; tout ce qui est décidé dans un cadre affectif est évidemment acceptable. Si j’exprime ici ma position, ce n’est pas pour déclarer des vérités hypothétiques, mais plutôt pour aider à faire ce choix délicat avec des arguments sérieux. Une chose ou son contraire peuvent être également respectables si cela est étayé de façon convenable.
La façon convenable à laquelle je fais allusion, consiste à laisser son inspiration se déployer à partir de valeurs sûres ; quant aux valeurs sûres en question, je pense qu’il est plus judicieux de les rechercher dans les aspects les plus éclairés du patrimoine de l’humanité, ceux qui ont traversé siècles et millénaires, plutôt que dans les derniers discours à la mode émanant de prophètes nouveau-nés ou plus pernicieux encore : les discours de ceux qui sont d’évidence les plus disqualifiés pour en parler. La fâcheuse tendance scientiste actuelle accorde à ceux qui ont quelques qualifications sur les aspects corporels de l’être humain une curieuse extension à des pseudos-qualifications sur le plan immatériel et incorporel ; cette transposition abusive entraîne par confusion des genres de regrettables méprises.
Le docteur Machin est sans doute qualifié dans son domaine pour parler de maladie ou de santé, mais il n’est pas plus qualifié que n’importe qui pour s’exprimer à propos de l’âme ou de la vie au-delà de la mort corporelle ; il est même plutôt handicapé pour aborder ces sujets puisqu’il est professionnellement conditionné pour considérer l’être humain d’après son corps ; il le voit prioritairement comme une machine biologique affublée de rouages complexes. Évidemment, vu comme ça, on comprend qu’on ne se pose pas trop de question sur un devenir quelconque quand la machine est fichue. Puisque seule la machine matérielle est considérée comme réelle, on peut en faire ce qu’on voudra ; on peut s’en débarrasser de n’importe quelle façon, on peut même en prendre un morceau pour le transplanter sur un autre corps. Certes ! Je peux comprendre ce point de vue, mais je ne peux en aucun cas le partager ; à tort ou à raison, je n’ai pas été conditionné de cette façon-là.

Voici maintenant, en guise de conclusion à cet article, comment je vois plutôt les choses. Pour reprendre ce que j’ai déjà exprimé, le vois mon corps comme le temple de l’Esprit (ou de mon âme). A ce titre, il mérite le plus grand respect ; rien n’est plus précieux. C’ est le sanctuaire qui a permis de recueillir tout au long de mon existence ce que mon âme est venue rechercher et expérimenter. Je ne sais pas trop de quoi il s’agit, mais quelque chose en moi sans doute le sait. Nous avons vécu ensemble le meilleur et le pire. Tout a servi et a été utile. Merci à mon fidèle compagnon de voyage. L’idée de le jeter au feu ressemble trop, pour moi, à l’idée de s’en débarrasser rapidement comme on le ferait avec des vieilleries encombrantes ; on peut y mettre tout le décorum qu’on veut, j’ai du mal à admettre cette façon de faire. L’utilisation de fours crématoires (de sinistre mémoire) pour détruire d’un seul coup ce que j’ai construit et entretenu pendant tant d’années, me paraît tout à fait désinvolte et inconvenant.

Je n’ai jamais décidé quoi que ce soit quant à la construction de mon corps. En fait, il ne m’appartient pas, je n’ai rien calculé par moi-même. Quelque chose de plus grand que moi s’en est occupé et a choisi sa taille, sa forme, ses qualités particulières, et ses spécificités qui en on fait un creuset unique et spécialisé pour accomplir le parcours qui m’était destiné. Pour ce faire, mon âme s’est activée à mon insu pour sélectionner et rassembler en un ensemble cohérent toutes sortes d’éléments terrestres présents dans la nature ambiante ; dans l’eau, dans l’air, dans la terre, dans les plantes ou ailleurs, bref, je me suis constitué un corps par rassemblement de choses éparses. Viendra un moment où le contenu éternel de ce temple éphémère considérera que “tout est consommé” et qu’il est temps d’engager le processus de dissolution. J’en profite pour signaler en passant que la décision de dissolution est forcément de même nature que celle qui a décidé autrefois la construction de mon corps ; une instance inconsciente au-delà du temps et de l’espace qui préside et préexiste par devers moi. C’est pourquoi je considère que le suicide n’est pas une option ; ce choix ne saurait être confié à un mental menteur abusé par des apparences trompeuses ; mieux vaut faire une confiance sans réserve à cette dimension supérieure de soi-même que, par commodité, les écritures appellent souvent le “Seigneur” pour le distinguer radicalement d’un “moi” purement mental, partiel et partial.

Quand l’âme décide que ce voyage est arrivé à terme, survient la mort du corps. Evidemment, la mort du contenant ne signifie pas la mort du contenu. Cette impression résulte d’une confusion des genres d’autant plus facile que contenant et contenu cohabitent dans des dimensions radicalement différentes. Quand l’heure est venue, telle ou telle circonstance entraîne la mort du corps. On place ensuite le corps en terre, ou dans un tombeau, ou dans un rocher, ou dans la mer ou encore à l’air libre, puis on laisse le processus de dissolution s’exécuter librement dans les voies de justesse et d’équilibre qui sont les siennes. Toute action volontaire pour intervenir à ce niveau me paraît tout à fait artificielle et inadaptée. C’est pourquoi je ne suis pas favorable à ces tentatives de prolongement de la durée du corps avec, par exemple, la pratique de l’embaumement, pas plus que ces tentatives de raccourcissement de la durée de la dissolution avec la pratique de l’incinération.

Pour terminer, je dirai que je crois que dans l’invisible tout est beau et parfait. C’est pourquoi je trouve inopportune cette tendance à vouloir intervenir dans le processus naturel du passage d’une dimension à l’autre. Je me déclare donc favorable aux sépultures classiques et je suis très réservé vis-à -vis de l’incinération des corps. Cependant, et je terminerai par là, je pense en mon âme et conscience que tout cela n’a pas beaucoup d’importance car, en fin de compte, je préfère m’en tenir à cette phrase prophétique : «  Rien ne meurt, tout est vivant ! » et considérer, par voie de conséquence, que la disparition d’un être cher ne débouche pas forcément sur une absence, mais plutôt sur une présence discrète.