CULTURE, INCULTURE, FAUSSE CULTURE et CONTRE-CULTURE
2ème partie
Nous voici maintenant rendus sur la berge de ce fleuve qui se prépare à
transporter vers les générations futures quelques observations rassemblées
par un ancien jeune devenu vieux prématurément.
En répondant à un mail ce matin, je faisais remarquer que les fluctuations
corporelles qu’on est amené à subir de temps en temps ont en fait l’avantage
de mettre en relief ce qui serait invisible autrement. Je me souviens d’une
répartie qu’Einstein avait adressé à quelqu’un en son temps : « Définissez-moi
d’abord ce que vous entendez par Dieu et je vous dirai ensuite si j’y crois”. Et
bien voilà ! Si on présuppose qu’il y aurait un ordonnancement supérieur,
qu’on peut appeler Dieu si on veut, qui aurait l’aveuglement ou la méchanceté
de nous faire du mal par erreur ou par plaisir, et bien ça, je n’y crois pas une
seule seconde. Je préfère supposer qu’il en va tout autrement et que tout est
organisé pour nous donner l’occasion de faire grandir la petite étincelle divine
qui nous accompagne depuis le jour de notre naissance. Maître Eckhart avait
dit à ce sujet que dans le regard de l’enfant il y a une étincelle et que dans
celui du vieillard il y a une lumière ; j’en accepte l’augure, puisse-t-on y
parvenir. Par contre, ça c’est moins sûr ! mais qui sait ? Qui sait si, à un
certain moment, l’obscurité et la lumière ne se confondent pas ?
Bon, à la suite de cette dernière observation destinée à faire perdre les
pédales à ceux qui affirment beaucoup de choses avant d’avoir pris la peine
d’y réfléchir, nous allons pouvoir commencer à avancer quelques idées pour
tenter d’en faire quelque chose.
Nous avons répété maintes fois que nul ne détient la vérité absolue (du
moins, c’est mon impression, car en fait si j’affirme cela, autant dire que je ne
la détient pas moi non plus et que donc, je n’ai pas le droit d’affirmer qu’elle
est inaccessible à tout le monde. Après tout je n’en sais rien, mais c’est sans
doute vrai pour le plus grand nombre, on s’en contentera).
Ceci étant dit, on peut en déduire que ce qui nous semble vrai se substitue à
la Vérité absolue et c’est cette construction mentale qui nous tient lieu de
support pour traverser l’existence. C’est donc un support qui nous semble vrai
et c’est donc une base rigide qui soutient et configure toutes nos pensées ; c’est ce
qu’on peut appeler notre philosophie personnelle. Ce n’est donc pas de vérité
dont il s’agit, mais simplement de notre façon de voir, tout dépend des
lunettes que nous portons pour examiner les choses. À ce sujet, Jésus avait
dit :” l’œil est la lampe du corps”, on ne peut dire les choses plus simplement.
C’est pourquoi nous devons porter la plus grande attention à ces fameuses
constructions mentales qui se constituent petit à petit depuis notre naissance
en raison directe de nos interprétations à propos de ce qui nous apparaît
comme des lumières ou des ombres qui s’agitent autour de nous. En effet,
tout dépend de ce qui, pour une raison ou une autre, a orienté nos regards ;
toute une philosophie se déploie en conséquence et en fonction de ce qu’on a
cru voir, et aussi et surtout en fonction de ce qu’on n’a pas vu du tout.
C’est là que peut s’envisager la notion de culture. Comme le suggérait Voltaire
quand il disait :”il faut cultiver votre jardin”, on peut penser que l’intellect
abandonné dans une friche a peu de chance de déboucher sur une
organisation de la pensée douée d’intelligence.Nous voici donc maintenant au pied du mur.
Nous avons vu précédemment les méfaits de l’inculture, de la fausse-culture et de la contre-culture, mais nous n’avons pas encore envisagé ce que pourrait contenir une culture digne d’intérêt, je veux parler d’une culture capable d’éveiller une intelligence susceptible de découvrir par elle-même les voies d’un véritable épanouissement, et par suite du bonheur.
Je suppose que” intelligence” et “bonheur” sont des notions qui devraient aller ensemble, sinon ce serait à désespérer de tout . Et pourtant, l’expérience montre que ce n’est pas si simple. Il suffit de jeter un œil sur le monde qui nous entoure pour constater que la connerie ambiante s’acharne à déclencher toutes sortes de haines, de colères, d’oppositions systématiques et le puissant désir de démolir les autres. Et ceci, c’est à ne pas croire, tout en espérant en retirer de grandes victoires et de superbes joies, avec l’idée fixe de savourer dès que possible, ce fameux plaisir d’assister à l’anéantissement des adversaires.
Taratata taratata, ouvrez le ban et en avant la musique …
Bon, je crois qu’il est inutile d’en rajouter, tout le monde a compris de quoi je
veux parler. On peut, juste pour s’amuser, remarquer que nous accordons
facilement de l’intelligence à nos ennemis pour nous justifier d’avoir des
difficultés à nous en débarrasser. Une philosophie fondée sur l’esprit de
compétition ne peut pas, évidemment, déboucher sur autre chose que ce
vaste contresens vis-à-vis de l’ordre naturel (il faudra développer un peu cela
quand on aura le temps). Union et Division sont, par définition,
diamétralement opposés. Chaque pôle se présente comme un rigoureux
contresens par rapport à l’autre.
Si on espère une heureuse et sereine cohabitation de ces deux inévitables principes,
il faudra acquérir un minimum de jugeote par le biais d’une culture capable de transformer les oppositions en complémentarité.
Je ne sais pas en ce qui concerne les autres planètes, mais en tout cas, pour ce qui est de la planète Terre, je sais qu’il y a partout, depuis toujours et dans toutes les traditions, les ingrédients nécessaires et suffisants pour réussir cette conversion rationnelle de la pensée.
Je sais bien qu’il y a aussi tous ces loups aux dents pointues qui nous attendent au coin du bois pour nous tromper à l’aide d’idées qui ont été conçues et préconçues par des ignorants et pour nous faire tomber dans les pièges-à-cons qu’ils ont installé un peu partout ; mais n’ayons crainte, je ne crois pas qu’ils soient fondamentalement méchants, je crois plutôt que ce sont des idiots utiles pourr nous titiller et nous obliger à réfléchir. C’est leur façon de participer utilement à notre culture, sans eux, on risquerait de s’endormir. Comme je suppose qu’on n’est, sans doute, pas là pour roupiller à poings fermés, merci donc à tous ces tordus qui, en fin de compte, nous rendent service.
Et maintenant, trêve de plaisanterie, il serait temps de rentrer dans notre sujet
et de commencer à envisager la culture, non pas comme une pénible
obligation, mais plutôt comme une formidable et enthousiasmante opportunité
pour aller de découvertes en découvertes et se faciliter ainsi l’exploration des
multiples merveilles de l’existence. En mêlant le fruit de nos expériences
individuelles aux idées proches ou ancestrales venant du parcours des autres,
cela permet de ratisser large et d’espérer recueillir ainsi, de quoi se construire
une philosophie personnelle ouverte, rassurante et intelligente. Il va juste
falloir apprendre à trier les données obtenues à l’aide de principes généraux
capables de débroussailler un peu. C’est là que ceux qui ont un peu vécu et
qui se sont plantés bien souvent (et qui s’en sont aperçu, bien entendu… ),
pourraient donner quelques indications aux moins aguerris. J’ai lu quelque
part que quelqu’un a dit que quand meurt un vieillard, c’est une bibliothèque
qui brûle. Oui, certes, cela me semble évident ; mais bon, chacun pourra
réfléchir à ce qu’il serait opportun, selon lui (ou elle (il faut faire gaffe maintenant, il y en
a qui guettent ces omissions)) de faire ou de ne pas faire à partir de ce constat.
C’est ainsi qu’à l’aide de quelques exemples appartenant à ma propre histoire
(parce que c’est celle que je connais le mieux), je vais tâcher de dégager quelques
principes qui expliquent comment s’est construite ma propre philosophie dans
le milieu culturel qui fut le mien. L’objectif n’est pas de parler de moi, cela n’a
qu’un intérêt très relatif, je ne suis qu’un individu parmi tant d’autres ; ce qui
nous intéresse ici, c’est plutôt de dégager par des exemples, des principes qui
concernent tout le monde et dans n’importe quel entourage culturel, et puis aussi de voir comment se construit une identité culturelle particulière.
Commençons vers l’âge de 4 ans ; je lisais assidûment et avec beaucoup
d’intérêt le Journal de Mickey. Je me souviens par exemple d’un dessin où l’on
voit Mickey et Minnie marcher joyeusement le long d’un trottoir bordé de
maisonnettes et des palissades ; sur l’une d’entre elles il y avait cette
inscription : “Ayez le sourire”. Je crois que cette suggestion a influencé toute
ma vie jusqu’à ce jour, j’ai toujours penché vers le rire ou le sourire ; cette
indication puisée dans ma culture aura apporté des nuances particulières à ce
que bien d’autres suggestions, que j’ai choisi de conserver par la suite, ont
aussi contribué à me façonner (Je dis bien “choisi de conserver”; je crois que
c’est une erreur de penser que nous ne sommes pas responsables de la
façon dont nous réagissons aux sollicitations extérieures (même si parfois quand
même, c’est un peu difficile à avaler).
Je pourrais continuer ainsi indéfiniment avec les influences diverses qui ont
rencontré avec moi ( avec ce qui germait déjà) d’évidentes synchronicités.
Tintin, par exemple, et l’ambiance de ce milieu sympathique rieur, courageux,
généreux et honnête que son auteur Hergé exprimait avec brio tout au long
d’histoires sans cesse renouvelées. Parlerais-je de Jules Verne et de ce
tempérament qu’il m’a fait indirectement passer ; de ce goût pour l’aventure, et
de cette tendance naturelle vers des comportements courageux, dignes,
droits et généreux qu’il transmettait à ses personnages.
Comme je lisais beaucoup et que je m’intéressais à tout, y compris d’ailleurs
sur des sujets qui n’attiraient personne, il serait fastidieux d’en faire l’étalage.
Je me contenterai simplement de gros morceaux qui ont façonné ma culture.
Georges Brassens par exemple en fait partie. En chantant ses chansons dans
les noces et banquets, je pouvais exprimer des choses que je pensais
profondément mais que je n’osais pas dire ; c’était comme un grand frère qui
portait la responsabilité des gros mots et des allusions cavalières dont je
pouvais user avec délectation. Quand je chantais à tue-tête :”ah ah putain de
toi” ou bien : “madame la marquise m’a foutu des morpions !”, quoi de plus
savoureux pour un enfant de 14 ans ?
Des dizaines ou des centaines d’autres personnages, plus ou moins célèbres,
m’ont porté de la sorte dans la même direction, ce n’est pas utile d’y revenir. Il
convient plutôt de changer complètement de registre, une culture n’est pas
mono-directionnelle, elle comporte de multiples aspects.
Mon père était abonné à “Science et Vie” et j’étais très attiré par ce domaine.
C’est ainsi que je lisais avec beaucoup d’intérêt des ouvrages savants, ou du
moins présentés comme tels, comme, par exemple, Darwin, Jean Rostand et
bien d’autres. mais il y en avait un qui me passionnait, je lisais tous ses livres,
c’était Albert Einstein. Ce n’était pas tellement les aspects scientifiques qui
m’intéressaient, mais c’étaient plutôt ses points de vues métaphysiques qui
faisaient écho avec je ne sais quoi en moi que je ne comprenais pas bien et
qu’il m’aidait indirectement à mieux réaliser. C’est ainsi que je me cultivais à
ma façon sous les ombrages de son autorité morale. Je partageais son
humour et même si je ne lui arrivais pas à la cheville sur le plan scientifique
j’ai quand même compris parfaitement ses positions sur la relativité quand il
l’a expliqué de la façon suivante : « Placez votre main sur un poêle une minute
et ça vous semble durer une heure. Asseyez vous auprès d’une jolie fille une
heure et ça vous semble durer une minute. C’est ça la relativité”. Quant à
ses positions sur la vie en général et l’existence en particulier, je crois que je
dois partager 90% de ses points de vue. Et quand il dit :”Le hasard c’est Dieu
qui passe incognito”, je souris en songeant au hasard qui m’a orienté sur ce
personnage qui a fortement contribué à ma culture.
Tiens, à propos de hasard, en voulant vérifier ce matin sur internet quelque
chose à propos de lui, je suis tombé “par hasard” sur un texte prémonitoire
qu’il a dû écrire il y a fort longtemps et qui tombe en parfaite synchronicité non
seulement avec cet article, mais aussi et surtout avec la folie ambiante qui se
déchaîne autour de nous. C’est comme s’il venait de regarder les nouvelles à
la télévision, ce matin de Juin 2024. C’est comme s’il percevait déjà les puanteurs
diverses répandues sur la planète qui attirent les mouches et des foules de partisans…
J’en fait ici un copier/coller : “Notre monde est menacé par une crise dont
l’ampleur semble échapper à ceux qui ont le pouvoir de prendre de grandes
décisions pour le bien ou pour le mal. La puissance déchaînée de l’homme a tout
changé, sauf nos modes de pensée, et nous glissons vers une catastrophe sans
précédent. Une nouvelle façon de penser est essentielle si l’humanité veut vivre.
Détourner cette menace est le problème le plus urgent de notre temps.”
Une nouvelle façon de penser, une nouvelle culture, évidemment ! et ailleurs, il dit aussi
ceci quelque part : “ Je ne sais pas quelles seront les armes de la Troisième Guerre
mondiale, mais celles de la Quatrième seront des pierres et des bâtons.” La rançon
du “pseudo-progrès” ; faute d’une authentique culture on ne peut s’attendre qu’à une
régression de la civilisation vers son autodestruction ; l’auteur de “la planète des
singes” a romancé à sa façon cette simple logique …
Et puis, et puis, et puis, notre culture n’a pas à se fonder seulement sur ceux
qui ont bénéficié d’une lucidité hors du commun, il y a aussi toutes ces
histoires humaines qu’on trouve dans la littérature, dans tous les genres et
tous les horizons. Tout cela nous transporte dans des sensibilités diverses et
chacun, dans son sanctuaire intérieur, se laisse naturellement conduire vers
la révélation de ses propres penchants naturels qui trouvent là, par
métaphore, l’occasion de sortir de l’ombre et d’être mis en lumière. Je sais
avoir beaucoup puisé dans la sensibilité de Victor Hugo ou m’être pénétré, en
lisant du Zola, de ce goût raffiné pour décrire et savourer les détails de
l’instant présent.
Que dire encore de cette multitude de philosophes qui m’ont accompagné par
leurs écrits et points de vue, non pas seulement sur le plan des idées, mais
aussi et surtout sur leur façon de s’en servir,. Leur façon de penser m’a
inspiré diverses façons de m’y prendre avec mes propres élucubrations…
Que dirais-je aussi de toutes ces coutumes et cultures venant d’Orient et
d’Occident, de tout ce qui m’est parvenu par des recherches ou par surprise.
Quand on cherche le bien, le beau, le vrai ou le juste on finit par le trouver
n’importe où. Quand on ne le cherche pas, on ne le trouve pas. Il n’y a pas lieu
de s’en étonner ensuite (ou pire encore, de s’en plaindre).
Tiens, celui-là par exemple, qui m’est tombé dessus parce que j’étais sans
doute dans un moment favorable ; le voici par copier/coller : “ Nous autres, Indiens,
vivons dans un monde de symboles et d’images où le spirituel et l’ordinaire des jours ne font qu’un.
Nous devons savoir que le Grand Esprit est en toute chose: dans les arbres, les herbes, les rivières, les montagnes et tous les quadrupèdes et les peuples ailés; et, ce qui est encore plus important, nous devons comprendre qu’Il est aussi au-delà de tous ces êtres.
Qu’est-ce que la vie ? C’est l’éclat d’une luciole dans la nuit. C’est le souffle d’un bison en hiver. C’est la petite ombre qui court dans l’herbe et se perd au coucher du soleil.
(Élan Noir (Black Elk) Tribu des Sioux ).
Les Sioux maintenant… une autre culture, et une même sensibilité.
Un bain de jouvence inattendu, cette fois-ci, car attention quand même à ne pas s’égarer dans de fausses-cultures qui résultent d’une forme de tourisme pseudo-spirituel qu’on voit fleurir un peu partout de nos jours. Dès qu’on peut y trouver quelques traces d’un exotisme de cinéma il y a toujours des “gourous autoproclamés” et des candidats pour les suivre comme les moutons de Panurge.
Tout le monde a sans doute compris que tout ce qui vient d’être dit sur ce
genre de culture est infinitésimal quantitativement au regard de la multitude
de choses puisées à l’extérieur de soi-même, mais qualitativement parlant, il
en va tout autrement. Un évènement fugitif peut révolutionner à vie un
tempérament. Des masses de données acquises de façon livresque ou autre,
ça peut avoir évidemment quelque intérêt, bien sûr, mais il ne faudrait quand
même pas confondre culture et mémoire. Il y a une boutade de Sacha Guitry
qui disait :” Pourquoi apprendre ce qu’il y a dans les livres puisque ça y est ?“.
Effectivement on peut voir les choses ainsi.
“La seule chose que vous ayez absolument besoin de savoir est l’emplacement
d’une bibliothèque.” (Albert Einstein, encore lui, décidément aujourd’hui…).
Pour ce qui est de l’information, c’est évident (encore qu’aujourd’hui on a internet),
mais la vraie culture s’acquiert par la connaissance et la connaissance par l’expérience. L’expérience est un vécu qui implique tout l’être ; aussi bien au niveau conscient et
susceptible d’être mémorisé, mais aussi, et c’est là le plus important,
à un niveau inconscient qui installe des certitudes dans l’invisible,
sous forme de principes ( Ce sujet méritera, à l’occasion, un peu plus
de réflexions).
Voici donc maintenant à partir d’un exemple, l’histoire d’un vécu
apparemment insignifiant, un vécu parmi des milliers ou des milliards d’autres. Un épisode fugitif de ma propre histoire a , en quelques minutes, généré chez
moi, sous forme de principe définitif, une tournure d’esprit qui ne m’a plus
jamais quitté.
Je devais avoir 14 ou 15 ans. Mon père était un banquier connu, respectable
et respecté, un de ces personnages estimé de beaucoup de monde, comme il
en existait à l’époque. Il avait l’habitude, le matin en allant à son travail, de
s’arrêter dans un bureau de tabac- journaux qui s’appelait “Papotages”. Il
prenait une pile de journaux, une boîte de petits cigares et parfois quelques
autres bricoles. Il ne payait jamais, l’ensemble était porté sur son compte qu’il
devait régler régulièrement.
J’allais moi-même au même endroit pour des fournitures scolaires ou des
fantaisies de mon âge. Cependant, à cette période de ma vie je commençais
déjà à être porté par la “chose” et à m’intéresser vivement à ce monde
mystérieux qui se cache sous les jupes de ces dames. A cette époque on était
loin, je dirais même bien loin, de ce déballage anatomique tout à fait indécent
qui tue d’un coup sec le charme du mystère.
J’avais remarqué qu’à l’étage du magasin, à un endroit où étaient exposés
des livres et des revues, il y avait un endroit discret où il y avait quelques
ouvrages avec parfois des photos ou des dessins un peu “lestes” pour
l’époque. Comme il est évident que je n’aurais jamais osé me présenter à la
caisse pour les acheter, et bien il m’arrivait parfois de les voler.
C’est ici que l’histoire commence. Un jour, après avoir glissé une de ses
revues sur mon manteau, j’allais me diriger vers la sortie lorsque je vis le
patron dans l’escalier qui manifestement ne pouvait que m’avoir vu faire. Je le
vis faire demi-tour sans rien dire et là , je compris que mon petit manège était
connu de tout le monde.
J’ai immédiatement imaginé mon père en train de donner ce genre de consigne
à tout le personnel du magasin, en disant d’un air amusé :” Laissez le faire le petit, ça lui prend maintenant, c’est dan s la nature des choses. Vous mettrez ce qu’il prend sur ma note”. Comme monpère était rarement contesté, tout le monde a suivi ses directives.
Quand je suis parti sans demander mon reste, je suis passé par le marché aux légumes et là, j’ai assisté à une scène qui, lorsque j’y songe aujourd’hui, me réveille encore cette envie de dégueuler qu’elle avait suscité à ce moment-là. Un père s’était brusquement retourné vers son fils qui faisait une petite bêtise en lui faisant un geste conventionnel bien connu de l’enfant qui mit immédiatement à exécution ce que ce geste impliquait : il se mit lui-même deux gifles bien fortes et bien sonores sous le regard satisfait de son père. Devant le regard réprobateur de quelqu’un, ce père s’était justifié en disant que ça fait moins mal quand on se le fait soi-même. Brrrr glacial !
Ce jour-là, j’ai vécu deux scènes successives sur le comportement d’un père.
Comment serait-il possible que ça ne m’ai pas influencé le restant de mes
jours ?
Mais, il est indispensable de préciser ici que l’orientation de ce que j’en ai
retiré est directement la conséquence des principes dont je disposais déjà
pour distinguer le bien et le mal, des principes issus de la culture qui était la
mienne à l’époque.
Brassens d’ailleurs, a vécu une histoire semblable dont il parle dans sa
chanson “les 4 bacheliers” dans laquelle il dit que : “pour offrir aux filles des
fleurs, ils se firent un peu voleurs”. Et quand à la fin les pères successifs se
prétendant déshonorés, s’exprimèrent à la gendarmerie, l’un d’entre eux pris
son fils dans ses bras affectueusement, et Brassens conclut ainsi : “ et s’il en
est qui trouvent que ce père a failli, c’est sans doute que pour eux, l’évangile
c’est de l’hébreu”. Brassens, cet homme non-assujetti et antisocial, tel qu’il a
pu l’être dans sa jeunesse, en vienne à citer l’évangile dans ce contexte, voilà
qui nous invite à soulever un peu l’abat-jour.
Que chacun pense comme il veut, certes, mais qu’au moins une culture un
tant soit peu raffinée puisse parfois éclairer son regard. Les lois de la jungle
conviennent parfaitement aux animaux. C’est radical, c’est comme ça et pas
autrement. Mais pour ceux qui intuitivement ne limitent pas l’être humain à sa
seule dimension animale, à quel principe général typiquement humain
pourrions-nous nous fier, si on a l’ambition de vivre effectivement, au moins
en partie, quelques aspects de notre nature particulière.
C’est précisément ce que nous allons voir maintenant.
Il s’agit d’un sujet que je fréquente effectivement depuis longtemps et que je
passe constamment au crible des mille et une expériences de la vie. Au fil du
temps j’en suis venu à me caler sur ce que je considère comme le Principe
des principes, la seule chose à peu près fiable sur laquelle s’appuyer. Je me
sers, pour en parler, d’une sentence attribuée à Davy Crockett :” Be sure you
are right, then go ahead”. Je l’écris dans sa langue d’origine car la traduction
en Français ne rend pas exactement ce qu’elle est censée exprimer, il lui faut
une traduction littérale. Le “sois sûr que tu as raison et vas-y” n’a aucun
intérêt ; qui va trancher entre tort et raison ? Par contre, le “sois sûr que tu es
droit” est immédiatement beaucoup plus accessible. Ce n’est plus au mental
de décider. Le mental menteur à la fâcheuse habitude de nous trouver les
justifications qui nous arrangent pour nous installer encore plus dans notre
connerie. Par contre se sentir droit et juste est quelque chose qui se perçoit
entre soi et soi avec une sensibilité mystérieuse qui vient de qui-sait-où. Se
sentir droit ou tordu, ce n’est quand même pas pareil. Et qui est censé
s’exprimer de cette façon-là ? Le fameux “Je suis” dont nous avons parlé dans
un précédent article, sa propre Identité au cœur de ce qu’il y a de plus
authentique en soi.
Par contre, il y a ici deux pièges qu’il faudra développer dans une autre étude.
Le premier, c’est que des phénomènes d’ordre psychologique et sans aucune
portée spirituelle viennent interférer et font tromper. Le deuxième est que si
l’on prétend qu’il s’agit d’une communication en son âme et conscience, c’est
que la conscience se trouve associée à l’âme dont l’expression naturelle est
l’amour. L’amour est obligatoirement le seul pont entre les deux sphères.
C’est pourquoi ce “be sure you are right” doit reposer sur fond d’amour.
Il faut quand même noter au passage, pour ne pas s’égarer, qu’il convient toujours de distinguer l’être et le comportement ; si en son âme et conscience on estime que quelqu’un est dans une connerie comportementale, on ne condamne peut-être pas l’être, mais on peut et même on doit, si on se sent droit et juste avec ça, s’opposer au comportement, ne serait-ce que pour aider cette personne à se réveiller.
Ensuite il y a “then go ahead”. Ce n’est pas juste un “et puis vas-y” ordinaire.
Le mot anglais “ahead” est construit à partir du mot “head”, la tête. En
Français la tête c’est aussi le chef. Il y a dans l’expression de Davy Crockett
un sentiment relatif à une sorte d’autorité supérieure qui préside au-dessus de
nos interrogations et indécisions. La bonne nouvelle c’est qu’en se
positionnant en son âme et conscience, cet amour mystérieux qui veille en
silence puisse s’exprimer par des perceptions internes facilement identifiables.
Ici prend fin cette deuxième partie de l’article consacré à la culture. Je me suis surtout attardé sur la culture individuelle et la philosophie personnelle, car c’est, à mon sens, le noyau fondamental de l’être. Je n’ai pas trop insisté sur les influences des groupes et sociétés humaines qui peuvent déterminer des modèles de culture stéréotypés. Cultures tribales, territoriales, nationales, politiques, religion d’état et sensibilités diverses, on sait qu’on est dans un bouillon d’influences de toutes sortes, et si on le sait, si on s’en rend compte, c’est mieux que si on n’y fait pas attention.
Je profite de l’occasion pour faire remarquer aux rebelles qui se figurent qu’ils se libèrent en se situant dans la contraire de la position officielle, qu’ils s’enchaînent encore plus à la version officielle en se battant bec et ongles contre ses préceptes ; obéissant ou rebelle, ce sont des positions dépendantes dans les deux cas. C’est exactement le contraire de ce qui est attendu d’une culture propre à développer une intelligence digne de ce nom, une intelligence capable de distinguer naturellement par elle-même le vrai du faux, le beau du laid, le bon du mauvais et le bien du mal.
A bientôt, je vais faire un tour…