JE SUIS, TU SUIS !

Toujours en jouant avec mes pensées et par suite des réflexions qui ont motivé mes derniers articles, j’ai pensé qu’il serait peut-être utile de porter quelques compléments là où il n’y avait que des allusions.

Pour commencer, et en préalable à tout ce que je dis ou écris, je dois préciser ici une fois de plus, que je considère que personne ne connaît ou ne détient la Vérité absolue. Ni moi (ça j’en suis sûr), ni personne d’autre (ça, je soupçonne vivement que s’il y en a, ils avancent masqués ; je n’en ai jamais vu ! ). Les discours les plus éclairés montrent que la Vérité avec un V majuscule se situe dans le monde invisible des causes, un monde sans dimensions hors du temps et de l’espace ; c’est dire que nous ne sommes pas mentalement équipés pour appréhender directement cette dimension. Par contre, je pense que nous pouvons nous en approcher au gré de nos multiples expériences, au gré des joies et des difficultés que nous rencontrons ; c’est ce qui fait d’ailleurs, tout le charme de l’existence humaine. Ce n’est donc pas de vérité dont nous allons parler mais d’une approche humaine en direction de l’ineffable beauté qu’on devine (ou qui se divine) derrière les apparences. Ce sont quelques idées d’un grand père qui a longtemps voyagé et qui en a rencontré de toutes sortes, des vertes et des pas mûres et de très jolies aussi !

Dans un précédent article, nous avons évoqué cette représentation métaphorique maintes fois utilisée : ” le corps est le temple de l’Esprit”. Cependant, comme le mot “Esprit” s’utilise plutôt par comparaison avec la matière en général , mieux vaut dans ce cas particulier parler plutôt de l’âme qui peut se concevoir comme une émanation de l’esprit qui est susceptible d’animer de la matière (ou en d’autres termes de la spiritualiser ou, plus simplement, de la rendre vivante). On présentera donc les choses ainsi : “ le corps est le temple de l’âme”. Ame se dit anima en latin, d’où le mot « animal » qui désigne la dimension corporelle, la matière animée par l’âme.

On conservera aussi le mot temple, sachant que bien d’autres contenants métaphoriques ont aussi été choisis pour parler de ce sujet (sanctuaire, tombeau, costume, enveloppe, Graal …etc.). D’ailleurs, “ peu importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse”, dit-on ; alors, autant se servir de cette formule lapidaire pour évacuer ce point de détail qui nous éloignerait inutilement de notre sujet.

Maintenant nous avons à envisager le monde corporel d’une part et le monde de l’âme d’autre part ; nous devons nous en faire une idée plus précise si nous prétendons nous pencher sur la question. Comme j’ai signalé, dès le début, ma conviction que la vérité absolue n’appartient à personne, je ne vais pas me fourvoyer moi-même dans une tentative de cours magistral sur le sujet. Cependant, on peut au moins s’en tenir aux grands principes qui ont été élaborés et transmis depuis des millénaires et qui ont influencé les plus grandes doctrines, religions et philosophies. Ce qui nous permet de leur accorder une plus vaste crédibilité que bien d’autres discours, c’est précisément le fait que ces principes se confirment d’eux-mêmes quand on s’en sert dans notre propre cheminement intérieur, pour éclairer un peu l’impénétrable. Je cite ici en passant Platon, Aristote, les stoïciens comme Epictète ou les Néoplatoniciens avec, par exemple, des gens comme Plotin, et puis tellement d’autres qui sont dans une semblable orientation de pensée, au moins sur les principes généraux. Lao-Tseu, par exemple, et même si les mots ne sont pas les mêmes on peut retrouver dans les textes dits “sacrés”, des analogies évocatrices (à condition, bien sûr, de dépasser les aspects superficiels des grandes Traditions et de s’engager dans leur contenu ésotérique dont elles disposent toutes). Je ne dis pas qu’il faut tout prendre à la lettre et sans le moindre discernement ; je pense, bien au contraire, que tout ce qui nous parvient de l’extérieur doit passer impérativement par les filtres de nos propres expériences ainsi que par la censure du simple bon sens qui interdit tout égarement fanatique ou rebelle.

En ma qualité de grand-père ( désormais irréversible) il m’arrive souvent de suggérer aux plus jeunes d’acquérir un minimum de cette culture qui a traversé les âges. Même si tout n’est sans doute pas bon à prendre, on peut quand même considérer que les anciens n’étaient pas forcément des brutes, des imbéciles ou des primitifs. Peut-être même d’ailleurs, vivaient-ils dans des conditions qui favorisaient une meilleure concentration et organisation de la pensée. Je vais devoir envisager un article sur ce sujet : Culture, Fausse Culture et Contre Culture.

Reprenons donc maintenant, de façon succincte mais suffisante, les quelques éléments dont nous aurons besoin pour poursuivre notre étude. Tout en gardant pour référence les sources que je viens d’évoquer et même en conservant quelques mots et expressions qui étaient les leurs, voici comment on peut voir les choses. Mais attention ! Il convient tout d’abord de préciser ce qu’on met dans les mots qu’on emploie ; les mots ne sont que des contenants dont le contenu dépend de celui qui l’utilise ou de celui qui l’entend.

Commençons donc par là.

Il y a le monde dit : “sensible”. C’est le monde qui nous apparaît en mode corporel parl’intermédiaire de nos 5 sens. C’est un monde où tout semble séparé par de l’espace ou par du temps. C’est le monde physique, le monde de la matière.

Il y a le monde dit : “intelligible”. C’est un monde immatériel, un monde sans dimension quantitative (non-espace, non-temps), c’est le monde des causes du monde physique, c’est le monde métaphysique (méta=au-delà).C’est le monde de l’esprit, du UN, du Tout, un monde qui ne nous apparaît pas en mode corporel.

Concernant ce sujet, Aristote disait : “Les choses nous apparaissent pour des raisons qui ne nous apparaissent pas”, et pour parler de ce qui nous anime et nous tient mystérieusement en vie, il le comparait à un “moteur invisible”. C’est précisément ce que nous allons aborder en parlant de l’âme. Le monde de l’esprit n’étant pas accessible de façon sensorielle, on peut au moins, et dans un premier temps, l’envisager par ses prolongements dans le monde matériel. On verra plus tard si on veut s’en rapprocher d’une façon plus appropriée que la seule raison.

C’est ainsi que l’esprit qui est responsable de tout, est entre autres, la cause de tout organisme vivant. Pour se simplifier la vie, on va se contenter de reprendre les représentations qui ont fait leur preuve depuis des millénaires et commencer par citer cette expression de l’esprit qu’on appelle “l’âme du monde”. Cette instance immatérielle est à la source de toute vie. Le mot “âme” vient du latin animus ou anima qui peut signifier esprit ou âme ou souffle, et produira par suite, et par voie de conséquence, le verbe animer ou le mot “amour”.

On va arrêter ici et limiter ce petit préambule à ce qui vient d’être dit. C’est largement suffisant pour aborder maintenant l’objectif que nous nous sommes fixé et qui a pour titre : “Je suis, tu suis !”.

Partant de là, on peut poursuivre en réalisant que l’âme du monde s’exprime par la construction d’une multiplicité d’êtres à la fois matériels et vivants (animés). Cette unité dans la multiplicité permet de comprendre que les âmes individuelles qui créent et maintiennent en vie chaque être vivant particulier, sont en fait le souffle d’une seule et même expression.

Cette première observation permet de se faire à l’idée que c’est le même “souffle de vie” qui traverse tous les êtres et que, par voie de conséquence, il y a d’abord une logique de continuité entre l’individuel et l’universel, et il y a ensuite une logique de “fraternité” universelle quand on comprend que ce qu’on a en commun avec les autres vient de la même source (le Père éternel ou universel, si on veut y mettre un nom ). Il est vrai que se trouver des liens de parenté avec un escargot , un cèdre du Liban, une girafe ou un raton laveur n’est pas forcément ce à quoi on penserait en premier, même si, après tout, on pourrait aussi s’y arrêter. Par contre, ces choses-là prennent une toute autre dimension quand on applique cette fraternité universelle dans le cadre spécifiquement humain. La simple logique s’impose devant ce qui pourrait passer pour une simple vertu morale.

Quand on voit les choses ainsi, des phrases célèbres telles que : “ aimez-vous les uns les autres” ou “ ne faites pas aux autres ce que vous n’aimeriez pas qu’on vous fis” , prennent maintenant tout leur véritable sens. Ce ne sont pas des principes de simple gentillesse qui sont communiqués ainsi ; ce sont des recommandations de base qui passent en premier, avant tout le reste. Et quand Jésus dit : “ aimez vos ennemis !” , on trouve, à première vue, cette idée complètement con ; on se demande comment et pourquoi aimer des gens qui nous veulent du mal. Cependant, si on lève un sourcil un peu plus haut que d’habitude et qu’on s’ interroge sur cette question à l’aide d’un aspect un peu plus ouvert et intelligent de soi-même, on comprend en un clin d’œil l’évidence de ce précepte. En effet, compte tenu du lien étroit entre toutes les âmes et à plus forte raison pour des êtres de même nature, on voit tout de suite deux choses :

1/ On est, dans l’invisible, en prise directe les uns avec les autres, il n’y a pas de distance dans l’unité universelle ; et, que ça nous fasse plaisir ou non, on se communique des choses, surtout si un relationnel impliquant est dans l’air. Il est clair que même si quelqu’un d’autre nous apparaît distancié, ce n’est que physiquement ; en fait sur le plan “subtil”, cette personne est dans la plus étroite des proximités.

2/ Cette personne se trouve dans une autre configuration de ce que nous sommes nous-mêmes. De ce fait, tout ce qu’on fait, qu’on pense ou qu’on ressent à son égard se retourne naturellement vers soi par effet miroir. C’est comme si on s’adressait à un autre soi-même. Le bien retourne du bien, le mal retourne du mal, point final !

Je ne crois pas qu’il soit utile d’en rajouter sur ce sujet, chacun peut le comprendre facilement. Par contre, je suggère d’en faire l’expérience et d’observer le résultat. Transformer ses colères et désirs de vengeance en pardon ou compassion, puis, observer ce que ça fait, est un exemple d’expérience des plus instructif qui soit.

Quand, avec le temps et la répétition de ce genre d’expériences on s’est forgé de solides certitudes, on en vient à plaindre celles et ceux qui se font du mal, sans s’en rendre compte, en passant leur temps à critiquer et à dire du mal des autres. Que dirions-nous du discours politique actuel où les uns et les autres voient les choses comme un combat et se détestent cordialement ? On a envie de les caresser gentiment comme on le ferait avec compassion à des enfants terribles qui se sont momentanément égarés et de leur suggérer quelque chose du style :” Arrête de remuer des saloperies et de te faire du mal !”.

Personne n’est mauvais par nature, bien au contraire. Mais on peut avoir des comportements erronés, tordus, méchants, mesquins et autre chose encore. Mais cela ne vient pas de l’essence de l’être, mais juste de sa substance provisoire, de son « animalité » qui se perd dans le royaume des peurs et de la désespérance (on pourra aborder cela dans une autre occasion). C’est pourquoi le tout premier pas de toute compréhension de la condition humaine c’est d’apprendre à distinguer l’être du comportement. Un comportement peut être condamnable, certes, on peut le dénoncer, le rejeter et le fuir ; mais un être n’est jamais condamnable ; c’est un frère, un compagnon de parcours qui s’y prend plus ou moins bien selon nos propres points de vue.

L’autre est comme moi. Quand il est content, ça lui fait comme à moi. Quand il est triste ça lui fait comme à moi. Quand il souffre, je sais ce que ça lui fait. Et quand je le vois se planter et s’auto-torturer en cherchant à démolir les autres, je crois mieux faire en regardant ailleurs plutôt qu’en me mettant moi-même à confondre l’être et le comportement. Oh je ne suis pas un saint ! J’ai, comme beaucoup d’autres sans doute, eu envie parfois d’étrangler quelqu’un. Mais bon, je crois qu’on a droit à l’erreur, et je crois même, comme je l’ai suggéré par ailleurs, que c’est grâce à nos erreurs qu’on peut s’acheminer, par rectifications successives, vers une plus juste ouverture de la conscience. D’ailleurs, comme l’avait dit Oscar Wilde :” Les saints ont un passé, les autres un avenir”. Voilà qui nous incite à nous y mettre sans tarder…

Nous voici maintenant au terme de ce qu’il nous fallait pour justifier le titre de cet article : “Je suis, tu suis !”. Je vais devoir m’expliquer sur le contenu que j’envisage avec l’emploi de cette expression.

Je suis : De quel “je suis” s’agit-il ici ? “Je suis” est la première personne du verbe être au présent de l’indicatif. C’est donc de moi en tant qu’être dont il est question ici. Ce n’est donc pas du corps que j’occupe provisoirement qu’il s’agit, sa taille, son poids, sa forme, son âge ou son numéro de sécurité sociale, par exemple. Ce n’est pas non plus les tendances naturelles ou artificielles de ce corps qui nous intéressent ici, ses habitudes ou ses réactions épidermiques ; pour le moment, on s’en fout. Une seule chose nous occupe : “Qui est ce “moi” qui dit “Je suis”. Il ne peut s’agir que de mon être essentiel ou en d’autres termes mon essence subtile ou encore mon âme. Voilà qui commence à m’intéresser vivement parce que si ce “ je suis » me paraît tout petit, lointain et presque inaccessible, il n’en reste pas moins qu’il est par voie de filiation et par nature, l’une des qualités parmi tant d’autres du “Grand je suis” tel qu’il a été confié par métaphore à Moïse, sur la montagne Sinaï, près du buisson ardent. J’ai donc à me caler sur cette représentation juste et hautement respectable de moi-même et à lui donner toute l’autorité qui lui revient par nature.

Tu suis : De quel “tu” s’agit-il ici ; à qui s’adresse-t-on ? Eh bien à celui qui se prend pour moi, mon prolongement corporel, celui que je montre aux autres et qui m’accompagne partout. Il m’est bien sympathique, certes, mais ce n’est quand-même pas à lui de commander. C’est comme si c’est le cheval, et non son cavalier, qui décide du parcours ; c’est le monde à l’envers. C’est pourquoi l’injonction “tu suis” présentée ici s’entend à la deuxième personne de l’indicatif du verbe “suivre”. L’être essentiel choisit et décide, l’être corporel suit en confiance, avec plaisir et de façon dévouée.

Évidemment et comme toujours, tout cela est plus facile à dire qu’à faire. Mais justement, la difficulté est peut-être l’ingrédient indispensable pour éveiller ce qui dort !

Cette primauté concédée à ce qui vient de l’âme n’a évidement qu’un mode d’expression : l’amour. L’amour est le médiateur évident entre les deux sphères. Cependant, encore faut-il s’entendre sur ce qu’on met dans ce mot, et c’est de là que viennent toutes les difficultés. J’aurai, sans doute l’occasion d’engager plus amplement une réflexion sur ce sujet, mais on peut voir déjà qu’on utilise le même mot pour des attitudes ou comportements qui n’ont rien à voir avec une quelconque spiritualité (des souffrances ou dépits, par exemple, la jalousie ou le besoin de possession ou d’exclusivité. J’en passe et des meilleures, depuis un sentimentalisme à bon marché jusqu’à finir par n’aimer que les seules personnes qui nous flattent et qui nous aiment)

Bon ! Ca suffira pour aujourd’hui. Ici prend fin ce que je voulais dire. Je vais faire une sauvegarde, éteindre mon ordinateur, puis, je vais aller au poulailler voir s’il y a un œuf.

A bientôt…